(Montréal) La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), l’un des actionnaires de la Banque Royale du Canada (RBC), s’oppose à ce que la RBC publie des cibles absolues de réductions de gaz à effet de serre. Cette prise de position est dénoncée par des organisations environnementales qui soulignent également que la Caisse a souvent voté contre des résolutions environnementales lors d’assemblées d’actionnaires dans la dernière année.

La CDPQ, qui s’est donné comme objectif de contribuer « à la décarbonation de l’ensemble de l’économie réelle et à atteindre un portefeuille carboneutre d’ici 2050 », faisait partie des actionnaires invités à se prononcer sur une série de propositions la semaine dernière lors de l’assemblée annuelle de la RBC.

Le New York City Comptroller, qui représente les intérêts d’une caisse de retraite, a proposé que la RBC se fixe « des cibles de réduction absolue d’émissions de gaz à effet de serre » pour ses activités financières dans le secteur du gaz, du pétrole et de l’électricité, pour 2030.

Le groupe d’investisseurs américains a fait valoir que « la transformation » de ces trois secteurs est « critique pour réussir à maintenir la température sous la barre de 1,5 °C », comme le requiert l’Accord de Paris.

La proposition a toutefois été rejetée par 82 % des votes des actionnaires de la RBC, dont la CDPQ, qui l’a jugée « trop contraignante ».

« Nous avons voté contre la proposition… car soutenir les cibles en absolu n’est pas viable pour une institution financière et décourage les efforts de décarbonation », a indiqué Kate Monfette, porte-parole de la CDPQ.

« Ce qui bloque, c’est la question des cibles en valeur absolue », selon Thomas Estinès, président du Groupe Investissement responsable (GIR), qui conseille les entreprises dans les stratégies d’investissement responsables.

Les cibles de réduction des émissions de GES peuvent être exprimées en valeurs absolues ou en intensité carbone.

Les cibles absolues font référence à une diminution du tonnage total des émissions de GES alors que des cibles « d’intensité » représentent une réduction par unité de production et permettent donc à une entreprise qui augmente sa production de faire de même avec leurs émissions de GES.

« Pour l’instant, RBC divulgue des cibles en intensité carbone, mais les meilleures pratiques demandent une baisse des émissions en valeur absolue », a indiqué Thomas Estinès, dont l’entreprise a conseillé la CDPQ dans le passé.

Il a ajouté que parmi les banques canadiennes, « il n’y a que BMO qui a adopté des cibles en valeurs absolues, ça devrait pourtant être la norme, mais pour l’instant c’est exceptionnel ».

Selon lui, « il pourrait commencer à avoir une défiance provenant des individus externes au monde financier, car vu de l’extérieur, on constate qu’il y a beaucoup de paroles, mais que les actions tardent à se mettre en place et que c’est un peu business as usual ».

En faveur de « l’élimination progressive de l’exploration »

La Banque Royale du Canada (RBC) a été le plus grand bailleur de fonds pour des projets de combustibles fossiles au niveau mondial en 2022, selon les données de la dernière étude de Banking on Climate Chaos, publiée jeudi par un consortium de groupes écologistes.

L’aide financière de la Royale au secteur des combustibles fossiles aurait atteint 42 milliards US l’an dernier.

Questionnée sur le rôle que la Caisse de dépôt et placement du Québec devrait jouer, en tant qu’actionnaire, dans la décarbonation des activités de la RBC, la porte-parole de la CDPQ a répondu que la Caisse « encourage la RBC à rehausser ses cibles en matière climatique », en précisant que « la Caisse avait voté en faveur de plusieurs propositions climatiques et sociales ».

Kate Monfette faisait notamment référence à deux propositions faites par des actionnaires de la RBC la semaine dernière.

La première demandait « l’élimination progressive des activités de prêt et de souscription visant l’exploration et la mise en valeur de combustibles fossiles ». La CDPQ a voté en faveur de cette proposition qui n’a toutefois obtenu que 7 % d’appui.

La seconde proposition demandait que la RBC intègre « le consentement libre, préalable et éclairé » des peuples autochtones dans ses politiques et ses pratiques.

La CDPQ a voté en faveur de cette proposition, qui a toutefois été rejetée à 73 % par les actionnaires.

Des avancées réalisées, mais encore du chemin à faire

Les positions de la caisse concernant ces deux propositions ont été saluées par la Coalition Sortons la Caisse du carbone qui a souligné, dans un communiqué, qu’elle demande depuis plusieurs mois à la Caisse de dépôt et placement du Québec d’utiliser son pouvoir d’actionnaire et de voter en faveur du climat lors des assemblées générales des actionnaires.

« Nous sommes heureux que notre travail ainsi que celui de nos partenaires commence à porter fruit », a déclaré Sébastien Collard, porte-parole de la coalition.

Toutefois, il a ajouté « qu’il est inacceptable que la CDPQ n’exige pas des cibles ambitieuses de la part des entreprises dans lesquelles elle investit, et elle doit également prêcher par l’exemple en adoptant elle-même des cibles qui respectent la science du climat ».

La coalition invite la CDPQ « à faire preuve de leadership dans ce dossier, tout comme le fait le fonds de pension du New York City Comptroller ».

Pour le porte-parole de Greenpeace Canada, Patrick Bonin, en votant contre des cibles de réduction absolue, la caisse « vient malheureusement d’envoyer un très mauvais message et a encore beaucoup de chemin à parcourir ».

Des votes contre des résolutions environnementales

La Caisse est membre du Race to Zero, une campagne des Nations unies qui implique que ses signataires se fixent « un objectif intermédiaire à atteindre au cours de la prochaine décennie, qui reflète un effort maximal pour atteindre ou dépasser une part équitable de la réduction mondiale de 50 % du CO2 d’ici 2030 ».

Malgré cet engagement, la CDPQ a mainte fois voté contre des résolutions environnementales proposées par d’autres actionnaires en 2022 selon une analyse de Investors for Paris Compliance (I4PC), un groupe d’investisseurs canadiens.

Selon cette étude, la Caisse a voté dans une proportion de 67 % contre des résolutions à caractère environnemental présentées lors d’assemblées annuelles de banques canadiennes ainsi que d’entreprises des secteurs des hydrocarbures, de la fabrication et du commerce de détail.

La CDPQ doit rendre public très bientôt son Rapport d’investissement durable pour l’exercice annuel se terminant le 31 décembre 2022.