Après EBOX, Distributel et VMedia, au tour d’un autre fournisseur internet indépendant, oxio, d’être acquis par une plus grosse entreprise.

Cogeco a annoncé mardi qu’elle avait acquis les activités du fournisseur internet montréalais oxio, lancé en 2019 et qui avait réalisé une percée rapide dans les marchés québécois et ontarien en misant sur l’infonuagique et la transparence dans ses tarifs. Oxio, précise-t-on dans le communiqué, « continuera d’exercer ses activités de manière indépendante et de servir ses clients sous sa propre marque ».

La jeune entreprise s’est notamment démarquée par une explication en détail de ses tarifs, offerte sur son site internet. Son forfait internet illimité à 30 Mb/s, par exemple, était offert à 50 $ par mois, dont 36 $ allait au réseau, 5 $ aux salaires et 4 $ aux profits d’oxio.

Changement de stratégie

À titre de fournisseur indépendant, oxio utilise principalement le réseau de Vidéotron au Québec et celui de Rogers en Ontario.

« Au moment où nous prenons la décision stratégique de nous concentrer exclusivement sur la croissance de nos activités liées à notre logiciel, Cogeco s’est présentée comme la meilleure entreprise pour servir nos clients de services internet », a déclaré dans le communiqué Marc-André Campagna, chef de la direction et cofondateur d’oxio.

Il n’avait pas été possible de parler à M. Campagna au moment d’écrire ces lignes. Du côté de Cogeco, on a décliné la demande d’entrevue de La Presse. « Pour le moment nous n’accordons pas d’entrevue et ne commenterons pas l’annonce de ce matin puisque nous concentrons nos efforts sur nos employés », a déclaré par courriel la porte-parole Anastasia Unterner.

Cogeco, précise-t-on dans le communiqué, devient également titulaire d’une licence pour la plateforme informatique appelée gaiia, qui sera désormais au cœur des activités d’oxio.

« Les télécoms utilisent des centaines de logiciels, ils sont mal intégrés et nous, on en fait une plateforme, avait expliqué en entrevue à La Presse M. Campagna en 2021. On a développé un logiciel pour nos agents du service à la clientèle qui permet d’automatiser les processus qui étaient faits par des tâches manuelles. Les clients peuvent commander en moins de cinq minutes. »

La somme de la transaction n’a pas été dévoilée. Selon une note de Desjardins Marché des capitaux, cette somme, qui sera éventuellement précisée à la mi-avril lors de l’annonce des résultats de Cogeco, serait comprise entre 20 et 35 millions. Selon les analystes financiers Jérôme Dubreuil et Phil Cvercko, l’ajout d’une deuxième marque de commerce sera bénéfique pour Cogeco, qui était jusqu’ici la seule entreprise de télécommunications publique au Canada à n’en offrir qu’une. Ils notent qu’il reste peu de revendeurs internet. « On s’attend à ce que le rythme de la consolidation ralentisse », précisent-ils.

Examen du CRTC

Oxio est le plus récent fournisseur indépendant racheté par une plus grosse entreprise, après EBOX et Distributel, acquis par Bell, et VMedia, passé dans le giron de Vidéotron. Telus a également procédé à deux plus petites acquisitions, celles d’Altima Telecom, de Montréal, et de Start.ca, de London. Interrogée par La Presse sur cette vague d’acquisitions de fournisseurs indépendants, la nouvelle présidente du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Vicky Eatrides, avait eu cette réponse, en janvier dernier : « Pour l’internet, c’est clair que notre politique n’a pas l’effet qu’on cherchait sur les prix. On examine la politique, on va revenir bientôt là-dessus. »

Bien des observateurs avaient prédit la disparition de fournisseurs indépendants après une décision controversée du CRTC en mai 2021, qui avait annulé des baisses substantielles du tarif de l’internet de gros. Ce sont ces tarifs que paient les fournisseurs indépendants pour accéder aux réseaux des plus gros fournisseurs comme Bell, Vidéotron, Telus et Rogers.

M. Campagna prévenait lui-même dans une entrevue avec La Presse en mai 2022 que « beaucoup de joueurs indépendants risquent de mourir dans les prochaines années ».

Ex-journaliste spécialisé en technologie, notamment au Globe and Mail et à CBC, Peter Nowak affirme que la situation « n’a jamais été aussi mauvaise ». M. Nowak, qui occupe depuis deux ans le poste de vice-président au sein de l’un des derniers fournisseurs internet indépendants d’importance, TekSavvy, estime que même les correctifs attendus du CRTC risquent d’arriver trop tard. « Les tarifs de gros sont trop élevés. TekSavvy est encore là, mais pour combien de temps ? Il faudrait être fou aujourd’hui pour se lancer là-dedans. »

Il croit que le Canada devrait imiter une poignée de pays, notamment l’Australie, et forcer les grands fournisseurs à se séparer de leurs réseaux. Ceux-ci constitueraient des entreprises autonomes louant leurs infrastructures à tous aux mêmes conditions. « Mais ça va être difficile, convient-il. Les grosses compagnies vont se battre à mort, et je ne vois aucun gouvernement qui aurait le courage de faire ça. »