La rapidité avec laquelle Mitsubishi a opté pour une « liquidation rapide et opaque » de Medicago est déconcertante, dénonce l’un de ses cofondateurs, François Arcand, qui lance un « appel à l’honneur » à la multinationale afin qu’elle y mette du sien pour aider à trouver un repreneur intéressé par les actifs de la société biopharmaceutique de Québec.

« On parle de destruction planifiée d’échantillons biologiques et de démantèlement des équipements », s’alarme M. Arcand dans une lettre adressée à Jean-Marc Gilson, chef de la direction de Mitsubishi Chemical Group (MCG), que La Presse a consultée. « Plutôt que de vanter la valeur de l’entreprise et d’assurer sa pérennité, on la dépèce secrètement. »

Toujours secoué par l’annonce surprise de la multinationale effectuée il y a un peu moins de deux semaines, celui qui a été président-directeur général de Medicago de 1997 à 2003 se désole du mutisme du conglomérat japonais et de la rapidité avec laquelle il souhaite tourner la page sur Medicago, même si Québec et Ottawa font des pieds et des mains pour trouver un repreneur.

« J’ai été là six ans et c’est une des belles choses que j’ai faites dans ma vie, ajoute le gestionnaire, en entrevue téléphonique. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui travaillent là-dessus actuellement. En espérant que [la lettre] donne un coup de pouce. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

François Arcand, cofondateur de Medicago

Un encan

Président-directeur général depuis 2018 de Pharma in silica, une entreprise biopharmaceutique de Québec qui développe des traitements oncologiques moins invasifs, M. Arcand affirme n’avoir aucun « intérêt direct ou indirect » dans Medicago, qui est passée sous le contrôle de Mitsubishi en 2013. Sa demande au grand patron de MCG : un « réel encan parmi des repreneurs crédibles » afin de sauver « 26 ans d’ingéniosité, d’efforts et de financements ».

Ça va prendre quelqu’un qui va dire : ‟OK, ça va prendre deux ou trois ans et peut-être un autre 250 millions, mais je vais quand même acheter au rabais quelque chose qui vaut beaucoup plus cher”.

François Arcand

Mitsubishi avait jeté l’éponge en évoquant les « changements importants qui se sont produits sur la scène internationale contre la COVID-19 depuis l’autorisation du Covifenz » – le vaccin à base de plantes développé par Medicago. Approuvé par Santé Canada en février 2022, le vaccin avait été rejeté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en raison des liens de la biopharmaceutique établie à Québec avec l’industrie du tabac.

Le cigarettier Philip Morris, qui était un actionnaire de Medicago avec une participation de 21 %, s’était par la suite départi de ses titres. Cela semble être survenu trop tard.

Penser à long terme

Celui qui a fondé Medicago aux côtés de Louis-Philippe Vézina estime qu’il faut voir plus loin que la COVID-19. Le portefeuille de l’entreprise comporte d’autres vaccins candidats, dont un contre la grippe saisonnière en phase 3. Selon le gouvernement du Québec, cette étape, la dernière avant l’homologation, consiste à déterminer si le vaccin est sécuritaire et efficace pour prévenir la maladie « chez un nombre important de gens ».

« Pensez aux pharmaceutiques qui nous vendent toujours de vieux vaccins, analyse M. Arcand. Il y en a qui pourraient se dire : ‟Je vais me placer quelque part entre mes concurrents et Moderna/Pfizer avec une technologie de pointe.” Mais si vous n’avez pas de vendeurs, que voulez-vous faire ? »

En dépit des 176 millions offerts par le gouvernement fédéral et les 75 millions prêtés par Québec, la multinationale nipponne a été claire : elle compte liquider les actifs de Medicago. Lundi, MCG n’avait pas répondu aux questions de La Presse visant à savoir comment ce processus se déclinera. Chose certaine, le prêt consenti par Québec pour la construction d’un complexe à Québec – qui n’a jamais été terminé – sera remboursé.

Selon nos informations, il y a des échanges entre Mitsubishi et les gouvernements Trudeau et Legault. Cependant, le conglomérat semble attendre qu’on lui présente des solutions plutôt que de s’impliquer dans le dossier.

« Ils [Mitsubishi] ne sont pas contre un repreneur, affirme une source gouvernementale au fait du dossier, mais qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement. Disons qu’Ottawa et Québec cherchent plus fort qu’eux en ce moment. »

Devant le Comité permanent de l’industrie et de la technologie, lundi, à Ottawa, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait peu à offrir sur les progrès réalisés dans le dossier. Interrogé, il a souligné avoir échangé avec le dirigeant de MCG et que la priorité de son gouvernement était de « protéger les emplois » ainsi que le complexe québécois de la biopharmaceutique.

La fin des activités chez Medicago survient au moment où les deux ordres de gouvernement tentent de rebâtir les capacités de recherche et de production dans l’industrie pharmaceutique, une lacune exposée par la crise sanitaire. Medicago employait plus de 600 personnes dans ses installations de Durham (en Caroline du Nord) et de Toronto au début du mois.

Lisez la lettre de François Arcand adressée à Jean-Marc Gilson, chef de la direction de Mitsubishi Chemical Group
En savoir plus
  • 1999
    Année de fondation de Medicago
    source : medicago
    4
    Nombre de vaccins candidats (grippe saisonnière, grippe pandémique, norovirus, rotavirus)
    source : medicago