Les livraisons de l’A220 stagnent alors que les problèmes d’approvisionnement torpillent les efforts d’Airbus pour accélérer la cadence de production – condition essentielle au décollage du programme toujours déficitaire. Si l’avionneur européen garde le cap sur sa cible de rentabilité, certains croient qu’il faudra patienter.

« Nous sommes en deçà de nos objectifs sur les livraisons, a reconnu le chef de la direction d’Airbus, Guillaume Faury, mardi, en conférence téléphonique, sans préciser la cible initiale. [L’A220] est un programme sur lequel nous avons été affectés par des problèmes de chaîne d’approvisionnement et du côté des moteurs. Nous avons donc livré moins d’appareils que ce qui était prévu. »

Avec le directeur commercial d’Airbus, Christian Scherer, le grand patron de la multinationale européenne faisait le point sur les commandes et les livraisons pour la dernière année. Aucun programme n’a été épargné par les difficultés à obtenir certaines pièces, ont souligné les deux gestionnaires.

Cinquante-trois exemplaires de l’ancienne C Series de Bombardier ont été remis à des clients l’an dernier. C’est trois appareils de plus qu’en 2021. Les livraisons se sont accélérées dans les trois derniers mois de l’année, ce qui a permis à l’A220 d’afficher une légère croissance d’une année à l’autre.

Des signaux envoyés l’automne dernier suggéraient que la situation se complexifiait. En présentant ses résultats du deuxième trimestre en octobre dernier, JetBlue, deuxième client en importance de l’A220, avait affirmé qu’il s’attendait à recevoir moins d’avions que prévu en 2023. Le transporteur américain avait imputé cette situation aux turbulences chez Airbus du côté de la production.

Moins d’argent ?

Détenu à 25 % par l’État québécois, l’A220 a fait l’objet d’un réinvestissement de 1,5 milliard en 2022 – dont 380 millions en provenance de Québec. On espère produire mensuellement 14 avions à Mirabel, dans les Laurentides, ainsi qu’à Mobile, en Alabama, d’ici 2025 – année où l’A220 doit en principe sortir du rouge. Même si tout ne se déroule pas comme prévu, pour le moment, M. Faury n’observe « pas d’impact » sur l’échéancier d’atteinte de la rentabilité. Directeur général de la firme AeroDynamics Advisory, Richard Aboulafia voit les choses différemment.

« Je crois que [l’échéancier] sera repoussé, a estimé l’analyste, dans un entretien téléphonique. La rentabilité est tributaire du volume [de production] et s’il n’est pas là, il faut le réviser. À long terme, cela n’affecte pas le programme, mais à court terme, c’est autre chose. »

Cela pourrait avoir des conséquences pour les contribuables. En acceptant de remettre de l’argent dans le programme, Québec avait pu repousser à 2030 le moment où Airbus rachèterait sa participation dans l’A220. La valeur de l’investissement est toujours « nulle » dans les états financiers du gouvernement. Plus les profits se font attendre, plus la somme obtenue par l’État risque d’être amputée.

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Encore des maux de tête

Airbus et les autres constructeurs d’aéronefs ne sont pas au bout de leurs peines. La prochaine année « demeurera difficile » en matière d’approvisionnement, prévoit M. Faury.

« Même si certains problèmes se règlent, d’autres émergent, a-t-il affirmé. Nous pourrions écoper de la crise énergétique en Europe et de la situation difficile en Chine, où l’on s’éloigne de la politique zéro COVID. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’usine d’Airbus à Mirabel

Il faudra du temps pour que les choses rentrent dans l’ordre, croit également M. Aboulafia, qui s’attend néanmoins à voir les livraisons de l’A220 augmenter. Une cible de 65 appareils est « raisonnable », à son avis. Airbus n’a pas voulu avancer d’objectif. L’avionneur a livré un peu plus de quatre A220 par mois. La cheffe des communications d’Airbus Canada, Annabelle Duchesne, affirme que la multinationale « travaille fort » pour conserver une cadence de production mensuelle de six appareils.

« La cadence demeure à six, mais il y a des modifications temporaires au chapitre de la séquence d’assemblage, dit-elle. Il y a plus de planification qui s’effectue. »

Par exemple, l’extérieur du fuselage d’un avion peut parfois être peint aux couleurs du client même si son aménagement intérieur n’est pas terminé à 100 % parce que certaines pièces sont manquantes. Mme Duchesne n’a pas voulu dire si la situation actuelle pourrait contraindre Airbus Canada à revoir sa stratégie de production.

Airbus devant Boeing

Airbus a consolidé sa position de numéro un de l’aviation civile face à Boeing : l’avionneur européen a livré davantage d’avions en 2022 en plus d’obtenir plus de commandes que son rival américain. Airbus a livré 661 appareils, contre 480 pour Boeing. La multinationale européenne a également coiffé le géant américain au chapitre des commandes nettes, c’est-à-dire en tenant compte des annulations. Airbus en a obtenu 820, contre 808 pour Boeing. Tout au long de l’année, les deux avionneurs ont dû composer, principalement chez leurs fournisseurs, avec les difficultés de recrutement, les tensions sur l’approvisionnement de certaines matières premières et de certains composants électroniques ainsi que la crise énergétique engendrée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
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    Nombre de commandes nettes obtenues par l’A220 en 2022
    Source : Airbus
    1,3 milliard
    Investissement initial de Québec dans l’ancienne C Series
    Source : gouvernement du Québec