Pour rentabiliser l’A220, Airbus doit tripler la cadence de production actuelle de l’avion, ce qui s’accompagne d’une facture de 1,5 milliard. Québec contribue en remettant 380 millions pour demeurer actionnaire quatre années de plus, estimant qu’autrement, ses chances de « rentabiliser » sa participation auraient été « inexistantes ».

Aux commandes de l’ex-C Series depuis trois ans et demi, le géant européen, qui investira environ 1,1 milliard, croit qu’il s’agit de l’ultime effort financier pour permettre au programme de sortir du rouge – ce qui devrait se matérialiser en 2025.

« C’est long et il faut beaucoup d’argent pour mettre en place ce qu’on appelle l’industrialisation », a souligné vendredi le chef de la direction d’Airbus, Guillaume Faury, en visioconférence, de Toulouse, en France. « C’est une dépense à court terme pour un succès à long terme. »

Celui-ci participait à la conférence de presse qui se déroulait à Montréal en présence du premier ministre François Legault, du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, et du président-directeur général d’Airbus Canada, Benoît Schultz.

PHOTO PETER MCCABE, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie du Québec, François Legault, premier ministre du Québec, et Benoît Schultz, PDG d’Airbus Canada

L’investissement ne servira pas à financer d’autres projets, comme une éventuelle version allongée de l’A220, et devrait aussi profiter à la chaîne de montage de Mobile, en Alabama.

Partenaires dans la Société en commandite Airbus Canada (SCAS), le géant européen (75 %) et Québec (25 %) investissent au prorata de leur participation. L’État québécois, qui a déjà injecté 1,3 milliard dans l’aventure, évite ainsi la dilution.

Si on n’avait pas réinvesti, la participation [du gouvernement] aurait été pratiquement éliminée et les chances de la rentabiliser auraient été pratiquement inexistantes.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie du Québec

M. Legault, qui, dans l’opposition, multipliait les critiques à l’endroit du gouvernement libéral de Philippe Couillard à la suite de sa décision d’injecter 1,3 milliard dans la C Series, avait changé de ton vendredi. Visiblement plus optimiste, le premier ministre a même laissé entendre que les contribuables sortiraient gagnants de l’aventure.

Pour préparer le terrain

En réponse à une question visant à savoir si des problèmes d’exécution dans les usines de Mirabel et de Mobile étaient à l’origine de la nouvelle injection de fonds, la direction de la multinationale a affirmé que ce n’était pas le cas.

Pour augmenter la cadence, il faut plus d’ouvriers, c’est un gros poste d’investissement. Il faut ajouter de l’outillage, des machines pour les segments de la chaîne de montage qui sont automatisés.

Benoît Schultz, président-directeur général d’Airbus Canada, en entrevue avec La Presse

En novembre dernier, M. Schultz avait indiqué qu’Airbus souhaitait recruter 500 personnes de plus à Mirabel au cours des prochaines années, ce qui ferait gonfler l’effectif à 3000 employés.

La cadence de production de l’A220 – qui a 500 avions à livrer dans son carnet de commandes – doit prochainement passer à six appareils par mois : quatre à Mirabel et deux à Mobile, en Alabama. Le rythme doit progressivement s’établir à 14 avions mensuellement vers 2025.

« L’augmentation de cadence est une phase extrêmement compliquée, souligne Mehran Ebrahimi, professeur à l’UQAM et directeur de l’Observatoire de l’aéronautique et de l’aviation civile. Quand vous faites un avion par mois, ça va, mais quand c’est 14, il faut énormément d’infrastructures d’agencement. »

L’expert estime que la somme de 1,2 milliard est raisonnable, à l’instar de Richard Aboulafia, directeur général de la firme AeroDynamic Advisory. Ce dernier souligne cependant que l’implantation d’une deuxième chaîne de fabrication à Mobile, alors que l’A220 est encore au début de la phase de commercialisation, complique la tâche à Airbus.

« C’est inhabituel à cette étape-ci, affirme M. Aboulafia. Compte tenu du volume actuel [cinq avions par mois], il y a des coûts associés à l’exploitation de deux chaînes d’assemblage. Cela explique peut-être une partie du besoin de l’investissement. »

Un placement défensif

En déliant les cordons de la bourse, Québec reporte à 2030 le moment où Airbus peut racheter sa participation dans l’A220. Si le programme est rentable pendant plusieurs années, sa valeur devrait augmenter, ce qui permettra à l’État québécois de récupérer une partie de ses billes.

La pente à remonter est toutefois abrupte. D’après le plus récent rapport du Fonds du développement économique, la « juste valeur » du placement de l’État dans l’ancienne C Series était « nulle » au 31 mars 2021. Après avoir insinué, en juin 2020, qu’il faudrait probablement radier le placement de 1,3 milliard dans l’A220, M. Legault a tenu un discours différent, vendredi.

« On va faire des profits avec ce placement-là », a-t-il dit, ajoutant que le nouvel investissement s’accompagnait de garanties.

Si Airbus compte moins de 2500 employés à Mirabel en 2028, Québec pourra forcer le rachat de la tranche de l’investissement annoncé vendredi. Moins il y aura de travailleurs, plus la somme à remettre par Airbus sera élevée. Par exemple, si tous les emplois devaient s’envoler de Mirabel, l’avionneur européen devrait repayer l’entièreté des 380 millions.

Québec et l’A220 en quelques dates

  • 29 octobre 2015 : le gouvernement libéral de Philippe Couillard vole à la rescousse de Bombardier et annonce une injection de 1,3 milliard dans la C Series en échange d’une participation de 49,5 %.
  • 1er juillet 2018 : Airbus s’installe aux commandes de la C Series, qui devient l’A220. La part de Bombardier décline à 33,7 %. Celle du gouvernement québécois fond à 16,2 %.
  • 13 février 2020 : pour réduire sa lourde dette, Bombardier quitte l’aventure et cède sa participation à Airbus et Québec. Les deux partenaires détiennent respectivement 75 % et 25 % du programme.
  • 29 septembre 2020 : Québec ampute la valeur de son investissement dans l’A220. La juste valeur du placement était « nulle » au 31 mars 2021.
  • 4 février : le gouvernement Legault accepte de remettre 380 millions pour conserver sa participation de 25 %.
En savoir plus
  • 3000
    C’est l’effectif d’Airbus qui travaille sur l’A220. Il y a environ 2500 salariés à Mirabel et 400 autres à Mobile, en Alabama, où sont assemblés les avions pour les clients américains.
    Airbus