La décision d’Ottawa de maintenir une décision controversée du CRTC est une occasion manquée pour certains, mais une « bonne nouvelle » pour d’autres

Le gouvernement Trudeau n’est finalement pas venu à la rescousse des fournisseurs indépendants en ordonnant une baisse des tarifs internet de gros. Mais en demandant de privilégier la compétition, l’innovation et l’abordabilité plutôt que les simples forces du marché, il a donné une lueur d’espoir à quelques-uns d’entre eux.

« On était en choc post-traumatique des dernières décisions, résume Marc-André Campagna, PDG du fournisseur internet québécois indépendant Oxio. Beaucoup de joueurs indépendants risquent de mourir dans les prochaines années. Mais même s’il n’y a rien de concret, les orientations données par le gouvernement vont dans le bon sens. »

Très attendue dans l’industrie, la nouvelle directive du cabinet fédéral à l’intention du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) est tombée jeudi soir. Elle survient après la décision controversée de l’organisme fédéral d’annuler en mai 2021 une importante baisse de tarif de gros de l’internet.

Depuis cette décision, la vaste majorité des fournisseurs indépendants ont augmenté leurs tarifs internet et le plus important d’entre eux au Québec, EBOX, a été acquis par son grand concurrent Bell.

« La plupart des indépendants ne font que tenir bon et ont dû refiler la hausse à leurs clients, et leurs parts de marché ont beaucoup décliné », rapporte Matt Stein, PDG de Distributel et président des Opérateurs des réseaux concurrentiels canadiens (ORCC), qui représentent 28 fournisseurs canadiens indépendants.

Ancienne directive éliminée

La décision du CRTC de mai 2021 n’a pas été infirmée jeudi par le gouvernement. On a plutôt préféré le statu quo et demandé au CRTC de prendre les mesures nécessaires pour que les Canadiens disposent de services de télécommunications à prix abordable.

On en profite toutefois pour éliminer une ancienne directive datant de 2006, adoptée alors que Maxime Bernier était ministre de l’Industrie dans le gouvernement Harper, qui faisait la promotion des « forces du marché » et encourageait les investissements dans les infrastructures. L’accent est dorénavant mis par le gouvernement Trudeau sur la concurrence et « des prix et des choix plus alléchants » pour les Canadiens.

Cette directive a tout de même été descendue en flammes par TekSavvy. Ce fournisseur internet indépendant avait multiplié les requêtes, notamment à la Cour d’appel fédérale et au cabinet, pour faire invalider la décision du CRTC de mai 2021 et demandé la démission du président de l’organisme, Ian Scott, accusé de conflit d’intérêts.

« Au lieu de baisser immédiatement les prix en annulant une mauvaise décision du CRTC, [le cabinet fédéral] nous demande d’espérer que le CRTC fera mieux à l’avenir », a dénoncé par communiqué le porte-parole de TekSavvy, Peter Nowak.

De l’avis de Matt Stein, la nouvelle directive attendue était « une grande occasion que le gouvernement n’a pas saisie ».

C’est très malheureux qu’on n’ait pas remis l’argent dans les poches des Canadiens, particulièrement en ces temps d’inflation. Les prix au Canada vont continuer à être les plus élevés, pas de doute.

Matt Stein, PDG de Distributel et président des Opérateurs des réseaux concurrentiels canadiens

Il estime toutefois que l’abolition de l’ancienne directive de 2006, et le fait d’exiger plus de concurrence plutôt que de laisser les forces du marché agir, « est un beau cadeau au prochain président du CRTC ». Le président actuel a annoncé à la mi-mai qu’il quitterait ses fonctions à la fin de son mandat, en septembre prochain.

Quelques fleurs

Un autre aspect qui a trouvé grâce auprès de certains, c’est la demande du cabinet Trudeau d’améliorer l’accès de plus petites entreprises aux réseaux sans fil. Essentiellement, ceux qu’on appelle les « exploitants de réseaux mobiles virtuels » (ERMV) peuvent, s’ils détiennent les licences de fréquence dans certaines zones, négocier et obtenir accès aux réseaux des plus grandes entreprises. Ce mode dit « hybride » pourrait être remplacé par un accès sans limites « au besoin », prévient le cabinet fédéral, s’il ne remplit pas ses promesses.

Pour le président et fondateur de Globalive, Anthony Lacavera, qui tente de mettre la main sur Freedom Mobile, il s’agit d’une petite victoire qu’on n’autorise pas dès maintenant un accès sans limites aux ERMV. « C’est une bonne nouvelle pour nous, pour Vidéotron : si vous donnez le plein accès, n’importe qui peut entrer et concurrencer. Dans le mode actuel hybride, il faut avoir du capital, s’engager à investir dans les infrastructures. C’est le meilleur scénario. »

L’appel à l’innovation a également rassuré Marc-André Campagna, dont l’entreprise Oxio mise sur un système d’opération infonuagique et une transparence totale pour faire baisser les prix. « On est un joueur innovant dans l’industrie, on est probablement le seul indépendant qui est en croissance sur le marché en ce moment […] On a une flexibilité que les autres n’ont pas. »

En savoir plus
  • 69 $
    Prix moyen, en 2021, des forfaits internet les plus bas déclarés au Québec (illimité, 50 Mb/s/10 Mb/s)
    Source : CRTC, Rapports sur le marché des communications 2021