La fusion annoncée de Shaw et de Rogers entraînerait des prix plus élevés, une qualité de service amoindrie et une perte de choix, notamment dans les services sans fil, juge le Bureau de la concurrence, qui s’y oppose donc formellement.

Selon l’organisme, l’élimination de Shaw en tant que concurrent mettrait en péril les progrès « considérables » que l’entreprise a accomplis pour accroître la concurrence dans un marché déjà concentré. Sa filiale Freedom Mobile est actuellement le quatrième fournisseur sans fil en importance au Canada, avec plus de 2 millions d’abonnés, principalement en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Rogers avait révélé en mars l’an passé une entente évaluée à 26 milliards (incluant la dette) pour acquérir Shaw. Depuis, diverses entreprises, dont Québecor, ont été pressenties ou ont signalé leur intention d’acquérir Freedom Mobile.

La concurrence entre Rogers et Shaw a déjà connu une diminution depuis l’annonce, selon le Bureau, et si le projet de fusion allait de l’avant, ce tort continuerait et pourrait s’aggraver.

L’organisme soutient que son enquête a permis d’établir qu’avant l’annonce du projet de fusion, Shaw prévoyait d’entrer sur de nouveaux marchés sans fil, lancer son réseau 5G et étendre son offre de services sans fil aux entreprises. « Depuis, les investissements dans son réseau ont diminué », indique-t-on.

La baisse du marketing et des activités promotionnelles de Shaw s’est traduite par une perte générale de concurrence sur le marché, est-il précisé.

Contre les trois grands

L’enquête du Bureau a permis de conclure que depuis l’acquisition de Wind en 2016 (subséquemment renommée Freedom Mobile), Shaw s’est imposée comme un concurrent régional « fort » et « perturbateur ».

Le Bureau soutient que Shaw a constamment mis au défi les trois grandes entreprises nationales en améliorant la qualité de son réseau et en attirant des clients grâce à des prix « agressifs », des blocs de données plus importants et des innovations en matière de services.

L’organisme considère le sans-fil comme un « service essentiel » et a officiellement contesté la fusion lundi en demandant une ordonnance au Tribunal de la concurrence pour l’empêcher de se réaliser.

Une injonction est aussi réclamée pour empêcher Rogers et Shaw de conclure la transaction jusqu’à ce que la demande du Bureau de la concurrence soit entendue.

« La disparition de Shaw éliminerait un concurrent indépendant et robuste dans le marché du sans-fil au Canada – un concurrent qui a fait baisser les prix, rendu les données plus accessibles et offert des services innovants à ses clients », commente le commissaire de la concurrence, Matthew Boswell.

« Nous agissons en vue de bloquer cette fusion afin de préserver la concurrence et le choix pour un service essentiel dont les Canadiens s’attendent à ce qu’il soit abordable et de grande qualité », ajoute-t-il.

Pour que la transaction soit bloquée, les allégations du Bureau devront être prouvées devant le Tribunal.

Vendre Freedom à Québecor ?

Informées vendredi de l’intention du commissaire de la concurrence de contester leur projet de fusion, Rogers et Shaw avaient indiqué durant le week-end qu’elles demeuraient engagées à l’égard de la transaction et qu’elles entendaient s’opposer à la demande déposée par le Bureau de la concurrence.

Les deux entreprises proposent ainsi une vente « complète » des actifs de Freedom Mobile, la filiale sans fil de Shaw.

« Rogers et Shaw s’engagent dans un processus de vente de Freedom Mobile en vue de répondre aux préoccupations soulevées par le Commissaire de la concurrence et ISDE [Innovation, Sciences et Développement économique Canada] », disaient samedi les deux entreprises.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) – l’autre organisme réglementaire dont l’approbation est nécessaire pour la réalisation de la fusion – a donné son approbation en mars.

Le mois dernier, le quotidien Globe and Mail affirmait que Rogers avait présenté au fédéral une entente entourant la vente de Freedom à Xplornet dans le but d’obtenir l’approbation des autorités pour son projet de fusion avec Shaw. Le quotidien avait précédemment indiqué que Globalive avait fait une offre pour Freedom avant de révéler vendredi dernier que Québecor avait finalement été invité à participer au processus de vente entourant Freedom.

Ces informations pouvaient laisser croire que les autorités souhaitaient qu’un grand opérateur de télécommunications se porte acquéreur de Freedom afin d’assurer la création d’un acteur pouvant rivaliser avec BCE, Telus et Rogers.

Joint par téléphone, l’analyste Jérôme Dubreuil, de Valeurs mobilières Desjardins, s’est d’ailleurs dit étonné que les documents publiés lundi par le Bureau de la concurrence ne fassent aucune mention de l’engagement à vendre Freedom Mobile formulé par Rogers durant le week-end.

« C’est ce qui m’a surpris dans la dépêche du Bureau de la concurrence », dit Jérôme Dubreuil.

« Le Bureau identifie que son problème principal avec la transaction est l’élimination d’un quatrième joueur et ne fait pas état d’une préoccupation entourant l’identité d’un acquéreur potentiel. »

Cet expert pense qu’on pourrait en apprendre un peu plus lorsque le Bureau de la concurrence déposera des documents devant le Tribunal de la concurrence.

« Il y a plusieurs manières de rendre la transaction plus acceptable au besoin », dit-il en faisant notamment référence à la signature d’ententes d’itinérance. « Ce n’est pas clair exactement ce que le Bureau de la concurrence souhaite pour l’instant. Pas à mes yeux, en tout cas. »

Pour ce qui est de Québecor, il faudra voir à quel point l’entreprise tient à une présence dans le sans-fil hors Québec. L’entreprise a déboursé 830 millions l’été dernier pour acheter des blocs de spectre au pays (Ontario, Manitoba, Alberta, etc.). La revente à profit de ces licences demeure cependant une possibilité si Québecor juge trop onéreux les coûts liés à une expansion hors Québec en téléphonie mobile.

Bloquer la fusion est le bon geste à faire pour l’économie du pays et les consommateurs, selon Ben Klass, consultant et observateur de l’industrie canadienne des télécommunications.

« Le Bureau de la concurrence doit être applaudi. Je ne crois pas que la transaction est acceptable. Nous avons besoin de plus de concurrence et non pas davantage de consolidation », dit-il.

L’action de Québecor a reculé de 3 % lundi, à 28,57 $, à Toronto. Celle de Rogers a perdu 4 %, à 64,19 $, alors que le titre de Shaw a cédé 7 %, à 34,87 $, pour ainsi clôturer à près de 15 % de moins que le prix d’acquisition de 40,50 $ offert par Rogers.