La filière batteries peut faire rêver, mais elle n’est pas un gage de succès automatique. Un maillon de la chaîne fait face à un avenir incertain même s’il se spécialise dans un créneau qui intéresse de plus en plus de constructeurs comme Tesla, Ford et Volkswagen.

Johnson Matthey veut vendre son usine de Candiac, en banlieue sud de Montréal, qui produit des matériaux de cathodes – le pôle positif de la batterie d’un véhicule électrique – pour les batteries LFP (lithium-fer-phosphate). Le hic, pour le géant chimique britannique, est que peu de repreneurs semblent s’être manifestés.

La principale raison : l’acquéreur devra probablement délier les cordons de sa bourse pour être capable de se tailler une place dans l’industrie.

« On ne parle pas d’une production à grande échelle, mais plutôt d’une usine pilote », explique Mark Beveridge, de la firme londonienne Benchmark Mineral Intelligence, en entrevue téléphonique avec La Presse. « Je ne suis pas certain que l’empreinte du site génère énormément d’intérêt auprès de repreneurs potentiels, qui voudraient probablement quelque chose de plus grande taille. »

Surtout utilisées dans des applications robotiques, les batteries LFP se distinguent par rapport à celles à base de nickel, qui dominent l’industrie du véhicule électrique. Elles sont moins coûteuses à produire, ce qui incite les constructeurs automobiles à s’y intéresser malgré certains défauts, comme une plus grande sensibilité au froid.

Plusieurs constructeurs de véhicules électriques utilisent des batteries qui contiennent du nickel, du manganèse et du cobalt (NMC) ou une combinaison de nickel, cobalt et aluminium (NCA).

Malgré son empreinte limitée, le site québécois de Johnson Matthey dispose d’une carte dans sa manche, selon Steve LeVine, de la publication The Electric, qui se spécialise dans les batteries de nouvelles générations et les véhicules électriques, et qui est considérée comme une référence dans l’industrie nord-américaine.

« On parle du seul site qui dispose d’une empreinte commerciale située à l’extérieur de la Chine, estime-t-il. Avec l’intérêt pour les batteries LFP, c’est un moyen de mettre les pieds dans ce créneau. Je me demande pourquoi il n’y a pas eu plus d’intérêt. »

M. LeVine croit également qu’un acheteur doit s’attendre à réaliser d’importants investissements pour accroître la capacité de production. Selon lui, les installations de Candiac produisent annuellement environ 2500 tonnes (de matériaux pour cathodes). Une usine à grande échelle peut produire entre 50 000 et 100 000 tonnes par année, estime-t-il.

Quels sont les prétendants ?

Jusqu’à présent, une seule offre, en provenance de l’Australie, a publiquement été soumise à Johnson Matthey. Dans un document réglementaire, la société minière Lithium Australia a confirmé avoir déposé une proposition non contraignante au géant chimique. Le prix offert est d’environ 25 millions de dollars (15 millions de livres sterling).

Selon The Electric, Nano One, qui se spécialise dans les matériaux pour batteries et qui est établie à Vancouver, aurait également démontré de l’intérêt. Dans un courriel envoyé à La Presse, son chef de la direction, Dan Blondal, a indiqué qu’il s’agissait de « spéculation » et qu’il « ne pouvait commenter ».

Johnson Matthey avait signalé son intention de se retirer du secteur des matériaux pour batteries en novembre 2021, évoquant des investissements trop élevés ainsi que la faiblesse des marges. Une décision qui s’est traduite par une charge d’environ 520 millions de dollars (314 millions de livres sterling). La multinationale tente de vendre cette division en pièces détachées depuis janvier dernier. Elle a prévenu que le résultat du processus était « incertain ». Son communiqué évoque de potentielles fermetures.

Par courriel, une porte-parole de l’entreprise britannique, Rebecca Williams, a refusé de répondre à toutes les questions entourant le site de Candiac. Elle n’a pas voulu donner une idée du nombre d’employés qui y travaillent ou de sa superficie. Joint au téléphone, Karsten Evers, directeur général de l’entreprise au Québec, a affirmé qu’il n’était pas autorisé à fournir ce genre d’information.

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, suit le dossier de près. Le gouvernement Legault « n’ira pas acheter » le site, prévient-il.

« Il y a des gens qui nous parlent, affirme M. Fitzgibbon en entrevue. Il y a une expertise là. S’il y a des gens qui veulent l’acheter et demander “Comment on s’intègre dans votre chaîne et pouvez-vous nous aider ?”, la réponse, c’est oui. »

Les actifs de Johnson Matthey qui concernent les batteries LFP comprennent également un laboratoire de recherche en Allemagne ainsi que des brevets. Une centaine d’employés y travaillaient en 2015, lorsque la multinationale avait payé 75 millions US pour acheter ces activités des mains de Clariant.

L’an dernier, Ford, Volkswagen et Stellantis ont dit avoir l’intention d’opter pour des batteries LFP pour leurs véhicules d’entrée de gamme. Ces batteries ont aussi fait leur apparition dans des Model 3 de Tesla.

« Je crois qu’il y aura une demande pour des batteries LFP en Amérique du Nord dans l’avenir, estime M. Beveridge. Est-ce que je crois qu’il y en aura pour de petits volumes l’an prochain dans l’industrie automobile ? C’est moins évident. »

Si l’usine de Candiac trouve preneur, la patience devra être une vertu de son nouveau propriétaire.

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    Les investissements privés et publics dans la filière batteries devraient osciller entre 8 et 10 milliards, selon les estimations gouvernementales.
    La presse