(Toronto) Les dirigeants de Shaw Communications suivront certainement de près la bataille pour le contrôle de Rogers Communications, qui a pris cette semaine le chemin des tribunaux, mais la société de Calgary ne devrait pas renoncer à l’entente de 26 millions de dollars qui la verra être rachetée par Rogers, ont estimé des analystes.

Le regroupement des deux sociétés reste avantageux pour Shaw, font-ils valoir, puisqu’elle serait mieux servie au sein d’une entreprise combinée et que Rogers est l’un des seuls groupes au pays qui peut se permettre une telle transaction.

Des documents réglementaires déposés en avril ont révélé que la société mère de Bell Canada, BCE, avait également approché Shaw en vue d’une possible prise de contrôle, mais avait finalement renoncé à un accord, apparemment en raison de préoccupations réglementaires. Cela a laissé la voie libre à l’offre de Rogers.

Shaw a maintenant peu de marge de manœuvre, malgré l’incertitude entourant l’issue d’une dispute qui ravage le conseil d’administration et l’équipe de direction de Rogers.

« [Shaw] ne peut étendre aucune influence à ce stade, donc je pense qu’elle doit juste attendre et voir ce qui va se passer », a estimé Richard Powers, directeur académique national de la Rotman School of Management.

L’entente entre Rogers et Shaw n’a pas encore reçu le feu vert des autorités réglementaires.

Entre-temps, Edward Rogers, le fils du regretté fondateur de Rogers, Ted Rogers, a lancé une procédure judiciaire pour tenter d’obtenir le contrôle du conseil d’administration de l’entreprise.

Il a demandé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique de rendre légitime le conseil d’administration qu’il a nouvellement constitué, après avoir été évincé de la présidence du conseil d’administration de Rogers plus tôt ce mois-ci, dans la foulée de révélations de médias au sujet d’un plan raté pour remplacer le chef de la direction Joe Natale par un ancien directeur financier.

Edward Rogers prétend qu’il avait le pouvoir d’apporter des modifications au conseil d’administration parce qu’il dirige la fiducie de contrôle de la famille, qui détient 97 % des actions de catégorie A avec droit de vote de l’entreprise.

Cependant, sa mère, ses sœurs et d’autres associés soutiennent que la version du conseil qui prévalait avant que la chicane éclate au grand jour et la seule qui est légitime. Aujourd’hui, chacune des deux factions prétend avoir le contrôle du géant des télécommunications et l’affaire doit être traitée par la cour à compter du 1er novembre.

Une offre d’acquisition difficile à reproduire

Le chef de la direction de Shaw, Brad Shaw, s’est peu exprimé au sujet de la discorde jusqu’à maintenant, à part pour réitérer son soutien à l’accord avec Rogers.

Si Shaw se retire de l’entente, elle devra verser à Rogers une indemnité de rupture de 800 millions, tandis que Rogers devra verser 1,2 milliard à Shaw si c’est elle qui renonce au mariage.

Mais en cas d’abandon de la transaction, Shaw se retrouverait à court d’acheteurs, a souligné Kai Li.

« Il est difficile de voir un autre acteur sur ce marché faire une offre comparable », a observé la professeur à la Sauder School of Business de l’Université de la Colombie-Britannique.

Outre Rogers et Shaw, le pays ne compte que deux autres acteurs majeurs dans le secteur des télécommunications : Telus et BCE.

« BCE peut être, ou non, un second acquéreur potentiel, tout dépendant des raisons de l’échec de l’accord avec Rogers », écrit pour sa part l’analyste Jérôme Dubreuil, de Desjardins, dans une note aux investisseurs.

Mais il ne croit pas que BCE débourserait autant d’argent.

« Nous pensons qu’une offre de BCE à 40,50 $ ne sera probablement pas sur la table si Rogers n’est plus un acheteur potentiel », a-t-il affirmé.

Jusqu’à maintenant, le différend avec Rogers a fait chuter le cours de l’action de Shaw aux environs de 35,00 $, ce qui reste supérieur à son cours de 23,90 $ du mois de mars, avant l’annonce de l’entente. Rogers propose toutefois d’allonger 40,50 $ pour chaque action de Shaw.

Malgré la crise, M. Dubreuil a prédit que le cours de l’action de Shaw chuterait encore plus si l’accord devait avorter, tout en restant probablement supérieur à sa valeur de mars.

M. Dubreuil pense que le cours de l’action de Shaw pourrait trouver un soutien entre 25,00 $ et 30,00 $, puisque les derniers résultats trimestriels de l’entreprise de Calgary ont montré des signes d’amélioration dans ses activités de câblodistribution. De plus, les récentes décisions prises par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) concernant les réseaux sans fil pourraient profiter à Shaw, dit-il.

Mme Li pense qu’il est possible qu’une entreprise américaine envisage d’acheter Shaw, mais il sera déjà trop tard pour réparer une partie des dommages causés par l’échec de l’accord avec Rogers.

Par exemple, a-t-elle rappelé, en prévision d’une prise de contrôle de Rogers, Shaw s’est retirée des récentes enchères fédérales pour le spectre du 5G.

« Étant le plus petit des quatre joueurs, ils n’ont maintenant vraiment pas de ressources et d’infrastructures », a-t-elle affirmé. « C’est pourquoi ils pensaient qu’il valait mieux qu’ils soient rachetés. »