(Toronto) Les dirigeants qui vont se faire vacciner à l’étranger font preuve à la fois d’un mépris éthique pour les moins fortunés et d’un manque surprenant de sens des affaires, affirment des experts.

Le président et chef de la direction de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, Mark Machin, a démissionné vendredi après avoir admis s’être rendu à Dubaï pour recevoir un vaccin contre la COVID-19.

« Les dommages à la réputation, comme la cicatrice durable de s’être fait prendre, dénoncé, vilipendé sur la place publique pour avoir du tourisme vaccinal, persisteront », prédit Wojtek Dabrowski, un directeur associé de Provident Communications.

Selon lui, M. Machin, autrefois un gestionnaire de fonds très respecté, ne trouvera pas de si tôt un nouvel emploi, car la plupart des entreprises répugneront à ce que leur nom soit associé au sien.

« On doit se demander quel type d’organisation prendrait un dirigeant qui tirerait un tel boulet », ajoute M. Dabrowski.

Aller à l’étranger pour recevoir un vaccin contre la COVID-19 soulève également des questions sur la culture implantée par un dirigeant dans son entreprise.

« La responsabilité d’une entreprise s’arrête dans le bureau du PDG, souligne M. Dabrowski. Qu’il s’agisse des résultats de l’entreprise, de la culture, de la modélisation du comportement qu’on souhaite implanter dans l’organisation. »

Selon lui, l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada devrait s’en tirer sans tâche à sa réputation parce que M. Machin a rapidement été amené à quitter son poste.

Mais si une entreprise n’est pas très connue ou peu appréciée et n’agit pas rapidement pour rectifier la situation, les gestes de ses dirigeants pourraient avoir des répercussions plus larges, dit M. Dabrowski.

Certains États ont commencé à réprimer le tourisme vaccinal, ne voulant pas être associés à cette pratique.

En janvier, la Floride a modifié ses règles pour empêcher les non-résidents de venir faire un aller-retour pour se faire vacciner. Les autorités exigent que les candidats à un vaccin fournissent une preuve de résidence au moins à temps partiel.

Une confiance érodée ?

Le bioéthicien Kerry Bowman dit avoir été choqué d’apprendre qu’une personnalité de premier plan s’était rendue à l’étranger pour se faire vacciner contre la COVID-19. Il rappelle la fureur déclenchée à la fin décembre contre les politiciens qui se sont rendus à l’étranger en faisant fi des recommandations de la santé publique.

« On coupe vraiment la file d’attente alors que des personnes âgées n’ont même pas encore reçu leur première dose », déplore-t-il.

M. Bowman craint aussi que le tourisme des vaccins érode la confiance dans un système de soins de santé qui devrait idéalement traiter tout le monde de la même manière.

« Cela alimente ce que beaucoup de gens savent déjà : les personnes ayant des privilèges et des relations vont trouver un moyen de faire fi du système. »

Le phénomène diffère des autres formes de tourisme médical dans lesquelles les gens traversent la frontière pour avoir un accès plus rapide aux traitements.

« Si on va à l’étranger pour une opération chirurgicale, les effets secondaires sur la justice sociale sont très différents », dit M. Bowman, tout en convenant que la pandémie rendait chaque situation plus compliquée.

« Si une personne revient d’outre-mer après avoir été vaccinée, son système immunitaire ne se renforcera pas avant quelques semaines. Elle demeure un risque pour la santé. »

M. Bowman soutient que les coûts d’un tel tourisme l’emportent de loin sur les avantages.

« Certains diront que le tourisme vaccinal ne fait qu’alléger le système et que ce n’est pas grave. Mais, l’équité est quelque chose de très, très important. »