Walmart Canada a annoncé la semaine dernière un important investissement de 3,5 milliards dans ses magasins et son site web. Quelques jours plus tard, ses fournisseurs ont reçu une lettre les avisant qu’ils paieront une partie de la facture, a appris La Presse. Une décision très mal accueillie dans le secteur agroalimentaire.

Le détaillant américain a dévoilé le 20 juillet son intention d’investir des milliards de dollars d’ici cinq ans au Canada « afin de générer une forte croissance » et d’améliorer l’expérience de magasinage des clients. Tout y passera : rénovation des magasins, construction de nouveaux centres de distribution, technologies à la fine pointe, etc.

Ses fournisseurs étaient alors bien loin de se douter qu’une partie de la facture leur serait refilée.

Mais dans une lettre datée du 24 juillet et obtenue par La Presse, c’est exactement la mauvaise surprise qui leur a été annoncée. Le géant de la vente au détail y précise qu’il appliquera « dès le 14 septembre » des « frais de développement des infrastructures » de 1,25 % sur ses bons de commande. En d’autres termes, les sommes payées aux fournisseurs seront amputées de 1,25 %.

Et, « pour les produits vendus sur le site de Walmart.ca […], des frais supplémentaires de 5,00 % pour le développement du commerce électronique » seront appliqués, est-il écrit.

Le détaillant ne cache pas que son « objectif [est] d’amortir partiellement les coûts engendrés » par ses « investissements nécessaires récents et à venir », explique-t-il en donnant les mêmes exemples que dans son communiqué au sujet des 3,5 milliards. Cette somme significative censée « générer des opportunités de croissance et des avantages réciproques » n’est toutefois pas précisée aux fournisseurs.

« Inacceptable », « pas raisonnable »

La décision de Walmart a fait réagir les acteurs du milieu de l’agroalimentaire, qui sont assez nombreux à vendre leurs produits chez Walmart, qu’il s’agisse de produits frais ou transformés.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La décision de Walmart a fait réagir les acteurs du milieu de l’agroalimentaire, qui sont assez nombreux à vendre leurs produits chez le détaillant.

Dans le secteur maraîcher, les producteurs sont « outrés » par la décision « inacceptable » et « unilatérale » de Walmart, nous dit une source qui craint des représailles si elle est identifiée. Les agriculteurs font des investissements et ils ne refilent pas la facture aux détaillants, ajoute cette personne.

Cette décision du géant américain arrive à un bien mauvais moment, plaide une autre source dans l’industrie agroalimentaire qui a requis la confidentialité pour ne pas nuire à ses relations avec Walmart. Les canicules, la sécheresse et le manque de travailleurs étrangers pèsent déjà lourd sur le moral et les finances, surtout, des agriculteurs.

La lettre de Walmart, « c’est une brique par-dessus une autre pour tout ce qui est maraîcher, déplore-t-il. C’est sûr que ça ne fait pas notre affaire du tout […]. Ça ne passera pas comme du beurre dans la poêle… »

Je ne trouve pas ça correct qu’un détaillant fasse payer ses investissements par ses fournisseurs. C’est une taxe obligatoire ! Ils profitent du fait que les détaillants ont un quasi-monopole au Canada.

Jocelyn St-Denis, directeur général à l’Association des producteurs maraîchers du Québec

M. St-Denis promet d’ailleurs « de défendre l’intérêt de ses membres » en s’impliquant dans le dossier.

Pour tenir la promesse des bas prix

Walmart fait valoir que son « programme d’investissements des fournisseurs est conçu pour [lui] permettre de continuer à tenir [ses] promesses de Bas coûts de tous les jours (BCTJ) et de Bas prix de tous les jours (BPTJ), et de développer et déployer des solutions novatrices pour [les] clients ».

Or, fait remarquer le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), la COVID-19 occasionne actuellement des coûts additionnels énormes pour les transformateurs : salaires, équipements de sécurité, nouvelles procédures pour respecter la distanciation. « On est dans une situation de crise et on en demande encore plus aux fournisseurs », dit en soupirant la PDG du CTAQ, Sylvie Cloutier.

Ce n’est pas la première fois qu’un détaillant utilise une telle stratégie. Mais le fardeau, jusqu’ici, avait été moindre, poursuit Mme Cloutier : « 5 % d’un coup, c’est du jamais-vu ».

Pour les fournisseurs à qui nous avons parlé, ce n’était pas clair si les deux réductions de prix (1,25 % et 5 %) pouvaient s’additionner lorsqu’une partie de leurs produits sont vendus en ligne. À ce sujet, le porte-parole de l’entreprise, Steeve Azoulay a été limpide. « Tout ce qui est e-commerce, c’est 5 % plus 1,25 %. Ça s’ajoute. »

« Le renforcement du partenariat avec les fournisseurs constitue une décision d’affaires réfléchie […]. Nous sommes d’avis que le programme est équitable et que Walmart et ses fournisseurs peuvent continuer de grandir ensemble », nous a-t-il aussi écrit.

En 2016, les trois grandes chaînes de supermarchés avaient elles aussi mis de la pression sur leurs fournisseurs, qui s’en étaient plaints. Loblaw avait décrété que les paiements seraient amputés de 1,45 % afin de « combattre l’inflation en alimentation ». Assez rapidement, Metro et Sobeys (IGA) avaient imposé un gel de prix.

Walmart exploite plus de 400 magasins au Canada et réalise des ventes d’environ 25 milliards, selon les estimations de Chris Li, analyste chez Desjardins.