Aux premières loges de l’industrie minière en Afrique de l’Ouest depuis 25 ans, Semafo passera sous contrôle étranger prochainement. Que restera-t-il du producteur d’or québécois ?

Les actionnaires de Semafo ont entériné jeudi sa vente à la société Endeavour, des îles Caïmans, pour 1,5 milliard. Une page se tourne pour la société québécoise, fragilisée par l’attentat meurtrier de novembre dernier au Burkina Faso.

Créée par Benoit La Salle en 1994, Semafo (pour Société d’exploration minière en Afrique de l’Ouest) a coulé son premier lingot en 2002. Elle a lancé quatre mines au total produisant plus de 3 millions d’onces. Rares sont les sociétés québécoises ayant accompli autant en Afrique.

Précurseure, Semafo a contribué à l’essor de l’industrie aurifère en Afrique de l’Ouest. Négligeable il y a plus de 20 ans, la production d’or au Burkina Faso atteint maintenant 53 tonnes avec 12 mines industrielles en production et quantité de mines artisanales. À titre comparatif, la production québécoise s’élève à 60 tonnes.

PHOTO FOURNIE PAR SEMAFO

En vertu de l’entente du 23 mars 2020, les actionnaires de Semafo recevront 0,1422 action d’Endeavour par action de Semafo si au moins les deux tiers d’entre eux votent en sa faveur.

Les mines, tous minéraux confondus, ont généré 620 millions de dollars en recettes pour le gouvernement burkinabé en 2018, soit plus de 10 % du budget de l’État. L’or a aussi permis la création de 9200 emplois directs et de 26 100 emplois indirects dans le pays de 20 millions de personnes.

En 2018, Semafo a versé près de 24 millions à l’État du Burkina Faso sous forme de taxes, impôts et redevances.

De son siège social de l’arrondissement de Saint-Laurent, où travaillent 60 personnes, Semafo voyait à l’exploitation de deux mines d’or au Burkina Faso : Mana depuis 2008, située à 260 kilomètres au sud-ouest de la capitale Ouagadougou ; et Boungou, ouverte en 2017 et située dans le sud-est du pays. Malheureusement, cette région fait l’objet d’attaques de terroristes et de criminels venus du Mali, au nord.

La tragédie du 6 novembre

Le 6 novembre 2019, un convoi de cinq autobus transportant des travailleurs de la mine de Boungou de Semafo a été pris en embuscade par des terroristes. L’attentat s’est terminé dans un bain de sang : 39 morts, 1 personne disparue et 60 blessés. Au total, 241 travailleurs et accompagnateurs se trouvaient à bord des bus.

L’entreprise québécoise ne s’en est jamais remise.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Le 6 novembre 2019, un convoi de cinq autobus transportant des travailleurs de la mine de Boungou de Semafo a été pris en embuscade par des terroristes.

Dès décembre, Semafo devenait convaincue « qu’une société de plus grande taille dotée d’un portefeuille diversifié serait mieux équipée pour gérer le risque ainsi que les ressources et le rayon d’action opérationnels nécessaires pour mettre en œuvre des mesures de sécurité renforcées », lit-on dans la circulaire sur l’historique des évènements ayant mené à l’entente entre Semafo et Endeavour. Traduction : la diversification géographique est devenue urgente.

Les discussions entre les deux sociétés ont repris en janvier 2020. Les parties s’étaient déjà courtisées dans le passé, à l’initiative d’Endeavour. Les discussions avaient été suspendues à la mi-2019 en raison de l’incapacité de s’entendre sur un prix.

Semafo et Endeavour ont répondu aux questions de La Presse pour cet article par courriel. Il a été impossible de s’entretenir avec le PDG sortant de Semafo, Benoît Desormeaux.

En vertu de l’entente du 23 mars 2020, les actionnaires de Semafo recevront 0,1422 action d’Endeavour par action de Semafo si au moins les deux tiers d’entre eux votent en sa faveur. En date du 9 avril, Fidelity et Van Eck Associates détenaient chacun 10 % des actions. L’échange d’actions déclenche un gain ou une perte en capital pour les résidants canadiens. Les actionnaires de Semafo détiendront 30 % de la nouvelle entité et 3 administrateurs seront choisis par elle.

Premier actionnaire d’Endeavour, La Mancha a convenu d’y ajouter 100 millions US en actions. Il détiendra 25 % d’Endeavour 2.0. Ex-filiale de la française Areva, La Mancha Resources était cotée à Toronto avant d’être privatisée peu après son rachat en 2012 par l’Égyptien Naguib Sawiris, qui a fait fortune dans les télécoms.

La Cour supérieure du Québec doit ensuite donner son approbation au mariage entre Endeavour et Semafo. La célébration est prévue en juin.

Toutefois, les noces pourraient être retardées. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, envisage un examen des questions de sécurité nationale en lien avec la transaction en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Ni Endeavour ni Semafo ne connaît la raison de cette notification, Semafo ne possédant aucun actif d’exploitation au Canada. Le ministre a jusqu’au 25 juin 2020 pour ordonner un examen.

Un centre opérationnel à la place du siège social

Si la transaction va de l’avant, le couple Endeavour-Semafo deviendra le 15e producteur d’or mondial et numéro 3 en Afrique. Elle disposera de six mines (quatre au Burkina et deux en Côte-d’Ivoire) produisant 1 million d’onces à un coûtant, tout inclus, de 900 $ US. La capitalisation boursière sera de plus de 3,4 milliards de dollars canadiens. Ses revenus totaliseront 1,4 milliard de dollars US. Ses liquidités dépasseront les 500 millions US et le ratio de la dette nette sur le BAIIA ajusté des 12 derniers mois de 0,68 fois.

L’ancien siège social de Semafo à Saint-Laurent deviendra le nouveau centre opérationnel d’Endeavour, actuellement à Abidjan, en Côte-d’Ivoire. Il sera le bureau principal d’exploitation de la société fournissant le soutien technique, le service des achats et autres services connexes à l’exploitation. La fondation Semafo, organisme de charité, survivra et deviendra la plateforme de responsabilité communautaire d’Endeavour en Afrique de l’Ouest.

La haute direction de Semafo se partagerait 10 millions US

Huit membres de la haute direction de Semafo ont droit à des indemnités advenant leur départ de la société dans les 18 mois suivant le changement de contrôle. L’indemnité correspond à 24 mois de salaire et bonis. Par exemple, si le changement de contrôle était survenu au 31 décembre, les membres auraient eu droit de toucher collectivement 9,6 millions US. Tous ne partiront pas tout de suite, toutefois.

Le PDG de Semafo, Benoît Desormeaux, devient président de la nouvelle entité, numéro deux derrière Sébastien de Montessus, actuel chef de la direction d’Endeavour. Martin Milette, chef de la direction financière de Semafo, occupera les mêmes fonctions au sein d’Endeavour. Trois autres membres de Semafo se grefferont à la nouvelle équipe.

Des militaires français à la rescousse

Elle aura la responsabilité de relancer les activités à la mine de Boungou, restée fermée depuis l’attentat. Semafo est en discussions avec des exploitants miniers pour remplacer le sous-traitant African Mining Services de l’australien Perenti, lequel a décidé de quitter le pays après l’attentat. Selon le grand patron d’Endeavour, Sébastien de Montessus, Semafo signera un contrat avec un nouvel exploitant d’ici juillet.

Par contre, Semafo a rouvert l’usine de traitement du minerai en février, après un arrêt de sept semaines. Les stocks représentent environ 10 mois d’approvisionnement pour l’usine.

Le but est de rouvrir la mine au quatrième trimestre. Une piste d’atterrissage qui était en construction avant la tragédie du 6 novembre sera alors terminée. Les travailleurs pourront être transportés par la voie des airs.

Pour assurer la sécurité des environs, la direction d’Endeavour compte sur les militaires français. Environ 3500 soldats français déployés au Mali ont été discrètement redéployés dans les régions frontalières du nord du Burkina Faso. « Nous avons déjà vu des progrès importants sur ce front, a confié M. de Montessus lors d’un appel avec les analystes financiers. Ils ne font pas beaucoup de publicité là-dessus, mais nous savons sur le terrain qu’il y a eu de bons progrès dans le Nord. C’est important pour le redémarrage de Boungou au quatrième trimestre. »

« Ce n’est pas la fin de l’aventure québécoise en Afrique »

Le fondateur de Semafo voit d’un très bon œil la vente de l’entreprise à Endeavour. Selon lui, le Québec a encore un rôle à jouer dans l’essor de l’industrie minière en Afrique. La Presse s’est entretenue avec le comptable Benoit La Salle, ancien coopérant international devenu entrepreneur minier en série.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Benoit La Salle, fondateur de Semafo, voit d’un bon œil la vente de l’entreprise à Endeavour.

Comment avez-vous réagi à la vente de Semafo ?

C’est une très belle transaction pour Endeavour et pour Semafo. Semafo a obtenu un prix correct considérant le timing de la transaction. Après l’attentat de novembre dernier, Semafo était évaluée en Bourse en fonction de l’incertitude. Pour elle, ça devenait important de se diversifier de façon géographique en réponse à la menace terroriste. Vendre à Endeavour, c’était la bonne décision à prendre.

L’entente avec Endeavour prévoit que le PDG de Semafo demeure dans la nouvelle entité comme numéro deux et la transformation du siège social de l’arrondissement de Saint-Laurent en son principal centre opérationnel. Doit-on croire à ses engagements ou est-ce seulement des mesures de transition ?

C’est très positif pour Montréal. Benoît Desormeaux [président et chef de la direction de Semafo] comme Martin Milette [chef de la direction financière, qui deviendra chef des finances chez Endeavour] sont jeunes et connaissent très bien le secteur minier de l’Afrique de l’Ouest. Endeavour a tout intérêt à les garder à son emploi. Il y a beaucoup d’expertise au bureau de Semafo à Saint-Laurent.

Ç’a bien dû vous faire un pincement au cœur de voir votre bébé vendu ?

J’ai quitté Semafo en 2012 à la suite d’un désaccord avec le conseil d’administration. J’ai tourné la page. Mais ma passion pour l’Afrique est intacte. Quand j’ai fondé Semafo en 1994, il n’y avait aucune mine industrielle au Burkina Faso. Avec Elie Justin Ouedraogo [ancien ministre de l’Énergie et des Mines, directeur général de la Société de recherche et d’exploitation minière du Burkina et ancien président de la Chambre des Mines du Burkina Faso], nous avons découvert la zone Houndé. C’est comme si on avait découvert l’Abitibi, mais au Burkina Faso.

Êtes-vous encore actif en Afrique ?

Mon groupe, Groupe Grou La Salle, chapeaute cinq sociétés, toutes cotées en Bourse. SRG Mining [SRG] mène un projet de graphite en Guinée ; Sama Resources [SME] a un projet nickel-cuivre-cobalt en Côte-d’Ivoire ; Algold Resources [ALG] travaille à l’ouverture d’une mine d’or en Mauritanie ; GoViex Uranium [GXU] pilote un projet au Niger et Maya Gold & Silver [MYA] exploite une mine d’or et d’argent au Maroc. Je viens d’ailleurs d’être nommé PDG fin avril. Je vais transférer le siège social à Montréal. Le Québec a peut-être perdu un siège social avec Semafo, mais on en gagne un avec Maya. La vente de Semafo ne signifie en rien la fin de l’aventure minière québécoise en Afrique.

Comment est-ce de brasser des affaires en Afrique ?

En Afrique, tu ne prends pas ta place ; tu fais ta place. Et tu la fais en respectant les 4 P : passion, politesse, persévérance et patience. Selon moi, il est plus facile d’ouvrir une mine en Afrique que partout en Occident. Entre le dépôt d’une étude de préfaisabilité de l’exploitation à la délivrance des permis de construction, tout peut se faire en six mois. Je suis persuadé que les futures mines dans le monde se trouveront en majorité en Afrique. On est encore au début de la mise en valeur du potentiel minier du continent.

Rectificatif
Une version antérieure du texte a erronément identifié l’entreprise de M. La Salle comme étant Groupe Benoit La Salle. Or, le nom exact est Groupe Grou La Salle.