Québec n’empêchera pas les propriétaires immobiliers d’évincer les détaillants qui ont des mois de loyer impayés ou de saisir leurs stocks. La session parlementaire a été ajournée avant l’adoption du projet de loi 61, au grand désespoir de l’industrie de la vente au détail et de la restauration.

« Je suis très déçue. On avait besoin de cette protection maintenant. Pas en septembre ! », a réagi Debbie Zakaib, directrice générale de la Grappe métropolitaine de la mode (mmode).

L’article 35.1 du projet de loi 61 aurait empêché les propriétaires de procéder à une résiliation de bail commercial, une éviction ou une saisie d’ici le 1er août 2020, rappelle Mme Zakaib. Son adoption aurait donc permis, fait-elle valoir, « de rééquilibrer le rapport de force entre les bailleurs et nos détaillants québécois pour qui la situation devient de plus en plus critique chaque jour ».

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Debbie Zakaib, directrice générale de la Grappe métropolitaine de la mode

Or, il n’y a pas eu d’entente à l’Assemblée nationale. L’opposition avait suggéré de scinder le projet de loi pour adopter les articles faisant consensus, mais le gouvernement a refusé.

« On trouve un peu déplorable, malgré le fait que plusieurs mesures faisaient consensus, qu’on n’ait pas trouvé une voie de passage pour cette mesure qui faisait l’unanimité », a commenté le porte-parole du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), Jean-François Belleau. L’organisation croit que l’absence d’entente à Québec « ouvre la porte à cinq mois d’évictions et de saisies de stocks pour les petits commerces ».

Au Conseil québécois du commerce de détail, le directeur général Stéphane Drouin « est très déçu et inquiet pour certains détaillants ». À son avis, c’était « un article essentiel pour la suite des choses ». À l’heure actuelle, « les grands propriétaires font des ententes intéressantes, mais d’autres prennent la ligne dure », déplore-t-il. Certains détaillants ont déjà reçu des lettres d’avocat.

Debbie Zakaib estime que l’article 35.1 aurait pu contribuer à empêcher d’autres détaillants de faire comme ALDO, Reitmans, Coalision (Lolë) et SAIL, qui se sont placés à l’abri de leurs créanciers.

Si la loi est adoptée en septembre ou en octobre, il sera « trop tard », tranchent le CCCD et la Grappe mmode.

Restaurateurs « furieux »

Du côté des restaurateurs, « on n’est pas déçus, on est furieux », insiste David Lefebvre, vice-président, Affaires fédérales et Québec à Restaurants Canada. « C’est assez bizarre que des gens n’arrivent pas à s’entendre pour éviter des évictions et des fermetures de commerces et de restaurants », a-t-il ajouté au cours d’un entretien avec La Presse.

En plus, dit-il, le projet de loi 61 incluait diverses mesures concernant la consommation d’alcool dans les restaurants qui avaient déjà toutes fait l’objet d’un appui unanime des partis à l’Assemblée nationale en 2018. « C’est tout ça qui tombe en même temps. »

Le vice-président de l'Association Restauration Québec (ARQ), François Meunier, abonde dans le sens de David Lefebvre. « De nombreuses mesures apparaissant à cette pièce législative [NDLR : adoptée en 2018] ne sont toujours pas encore entrées en vigueur et deux ans plus tard, une nouvelle étape aurait pu être franchie si le projet de loi 61 avait été adopté. Quelle occasion manquée ! Vraiment désolant ! »