(New York) Fiat Chrysler Automobiles (FCA) et General Motors (GM) ont sorti les couteaux mercredi, le premier accusant le second de vouloir perturber ses fiançailles avec le constructeur français PSA en déposant une plainte opportune pour corruption visant à fausser des négociations salariales aux États-Unis.

GM a lancé une action judiciaire contre FCA « pour le tort que ses actions ont causé à notre entreprise et pour s’assurer qu’on joue tous à armes égales à l’avenir », a déclaré Craig Glidden, le directeur juridique. La poursuite allègue que l'ancien PDG de Fiat-Chrysler, feu Sergio Marchionne, était impliqué.

Cette plainte est liée à une enquête fédérale en cours sur des faits de corruption supposée touchant le puissant syndicat automobile UAW et certains de ses plus hauts dirigeants.

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Le Renaissance Centre, siège social mondial de General Motors à Détroit.

« Nous sommes stupéfaits par le contenu et le moment choisi pour déposer cette plainte », a répliqué par courriel à l’AFP un porte-parole de FCA.  

« Nous ne pouvons que supposer que ceci a pour but de perturber notre fusion envisagée avec PSA et les négociations (salariales) en cours avec l’UAW », a-t-il ajouté.

L’action FCA malmenée

FCA et PSA Automobiles ont annoncé fin octobre un projet de fusion à égaux ne comprenant pas de fermeture d’usine pour créer un nouveau géant de l’automobile, propriétaire des marques Fiat, Alfa Romeo, Chrysler, Citroën, RAM, Dodge, DS, Jeep, Lancia, Maserati, Opel, Peugeot et Vauxhall.

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GM allègue que FCA a obtenu de l’UAW des concessions importantes lors des négociations salariales en 2009, 2011 et 2015, grâce à ses pots-de-vin versés à l'UAW. Des concessions non obtenues par les autres groupes automobiles.  Ci-haut, Jeff Elkins, un employé en grève de l'usine d'assemblage GM de Flint, au Michigan, le 16 septembre 2019, date à laquelle la grève a été déclenchée.

A Wall Street, le titre Fiat Chrysler a clôturé en baisse de 3,72 %.

GM affirme dans sa plainte que FCA a versé des pots-de-vin aux cadres de l’UAW sous la forme de fonds alloués à un centre de formation destiné aux ouvriers de l’automobile et co-dirigé par le syndicat et le groupe italo-américain.  

Les employés FCA sont payés moins chers

Ce faisant, FCA a obtenu de l’UAW des concessions importantes lors des négociations salariales en 2009, 2011 et 2015, affirme GM, ce qui n’a pas été le cas pour les autres groupes automobiles.  

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Un assembleur de Chrysler travaille au montage d'une boîte de vitesses à l'usine de transmissions de Tipton, en Indiana.

Le salaire horaire moyen est de 63 dollars chez GM, contre 55 dollars chez FCA et 61 dollars chez Ford, d’après les données du Center for Automotive Research. Toutefois, un grand nombre de salariés de FCA sont moins expérimentés que ceux de ses concurrents, ce qui contribue également aux écarts de salaires avec GM et Ford, selon des experts.

Quelque 4,5 millions de dollars provenant du fonds pour la formation de FCA-UAW auraient été détournés entre 2009 et 2014, selon des documents judiciaires.

Sergio Marchionne personnellement impliqué, allègue GM

La corruption supposée aurait été orchestrée par Sergio Marchionne, l’ancien PDG de FCA, décédé en 2018, et mise en œuvre par son homme de main, Alphons Iacobelli, en charge de négocier les conventions collectives avec l’UAW.

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Sergio Marchionne en décembre 2017, lors d'une conférence de presse au siège social de Chrysler à Auburn Hills, au Michigan.

Ce dernier, qui a admis avoir détourné environ 1,2 million de dollars destinés à la formation des membres de l’UAW, est en prison.

M. Marchionne « était au courant ; il en était le commanditaire et y a pris part », a enfoncé mercredi Craig Glidden, lors d’une conférence téléphonique avec des journalistes.  

Il a assuré que le moment choisi n’avait « rien à voir ni avec les négociations de FCA avec l’UAW ni avec sa fusion avec PSA », mais a insisté sur le fait que la combine mise en place selon lui par M. Marchionne « faisait partie de la tentative de forcer une fusion (entre FCA) et GM en 2015 ».

Pour forcer un mariage GM-FCA ?

M. Marchionne avait à l’époque approché Mary Barra, la PDG de GM, pour un mariage entre les deux géants de Detroit, mais celle-ci avait rejeté ses avances.

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La PDG de General Motors, Mary Barra, en compagnie du PDG de Fiat Chrysler, Sergio Marchionne, lors d'une conférence de presse après une rencontre avec le président Donald Trump à la Maison Blanche le 24 janvier 2017. Deux ans avant cette photo, Mme Barra avait éconduit M. Marchionne.

Mme Barra avait argumenté que GM avait suffisamment les reins solides pour faire cavalier seul dans un secteur automobile bousculé par les technologies électrique et autonome, lesquelles requièrent des milliards de dollars d’investissements.

Il n’avait pas été fait mention des négociations salariales avec l’UAW, dont des cadres ont plaidé coupables récemment dans cette affaire de corruption.

« Les conventions collectives négociées avec FCA quand M. Iacobelli était cadre chez FCA […] n’ont été affectées ni par ses malversations ni par celles de responsables de l’UAW concernés par le détournement des fonds » du centre de formation, a rejeté mercredi Brian Rothenberg, un porte-parole de l’UAW, ajoutant que M. Iacobelli avait aussi travaillé pour GM.

L’UAW a dans la foulée annoncé avoir lancé le processus d’expulsion du syndicat de deux cadres, dont Gary Jones, qui a mené les dernières négociations salariales.

GM, qui réclame des domages et intérêts « substantiels » non estimés, a déjà affronté Fiat devant les tribunaux mais avec un succès mitigé, comme ce fut le cas en 2005 quand le constructeur américain ne voulait pas indemniser l’italien pour avoir refusé d’exercer une option l’obligeant à le racheter.  

GM avait dû verser 2 milliards de dollars à Fiat pour résoudre ce différend.