Il ne manquait que Montréal au tableau de chasse nord-américain de DoorDash ; ce sera chose faite à compter d’aujourd’hui. L’entreprise de San Francisco, numéro un de la livraison sur demande en Amérique du Nord, annoncera ce matin son arrivée à Montréal, forte de son association avec quelque 300 restaurateurs.

« Nous avons passé des mois pour nous assurer de la qualité de notre service, nous voulions bien comprendre la communauté, explique en entrevue Brent Seals, directeur du marché canadien chez DoorDash. Les restaurants de Montréal sont parmi les meilleurs au Canada, si ce n’est au monde. Nous voulions avoir la meilleure sélection, nous avons écouté nos clients. »

Marché compétitif

Le communiqué qui sera publié ce matin mentionne entre autres La Belle et La Bœuf, Boustan, Cacao 70 et Notre-Bœuf-de-Grâce parmi les restaurants participants. Pour son premier mois à Montréal, DoorDash offrira en outre la livraison gratuite pour toute commande de plus de 10 $.

Officiellement numéro un en Amérique du Nord depuis mars dernier, devant Uber Eats et Grubhub, DoorDash devra se tailler une place dans un marché montréalais qui compte déjà plusieurs acteurs d’importance. Skip (anciennement SkipTheDishes), Uber Eats et Foodora, tous associés à ce qu’on appelle l’« économie de partage », sont implantés depuis plusieurs années. Une autre entreprise, la montréalaise GOLO, offre également un service de livraison aux restaurants, mais elle a un modèle d’affaires complètement différent, avec des employés salariés et des véhicules électriques.

« Dashers » recherchés

Il s’agit d’une première aventure dans un marché non anglophone pour DoorDash, déjà présente dans quelque 4000 villes aux États-Unis et 77 au Canada. Son application mobile est offerte depuis peu en français. 

DoorDash annoncera du même coup l’ouverture de deux bureaux ici, des locaux administratifs Place Ville Marie et un centre de formation pour ses livreurs dans l’arrondissement de Saint-Laurent. 

Ceux-ci, appelés « Dashers », sont des travailleurs autonomes utilisant leur propre voiture. L’entretien et l’essence sont à leurs frais. Ils choisissent leurs livraisons à partir d’une application mobile, qui leur garantit un paiement minimum variant selon l’importance de la commande et la distance. Bien que l’entreprise se montre discrète sur les revenus que peuvent espérer ses « Dashers », plusieurs sources dans les médias l’établissent à environ 7 $ par livraison, pourboire en sus.

Quant aux restaurateurs, ils paieraient une commission allant de 10 % à 25 %. Les consommateurs, eux, utilisent l’application mobile ou le site internet pour passer leur commande et régler l’addition.

Restaurateurs « neutres »

À l’Association Restauration Québec, qui regroupe quelque 5600 membres, on avoue qu’on ne sait trop quoi penser des services d’« économie partagée » comme DoorDash.

Ça peut être intéressant pour beaucoup de restaurants qui n’ont pas de flotte de livreurs. Mais les frais qu’ils chargent sont parfois très élevés.

Dominique Tremblay, porte-parole de l’Association Restauration Québec

Quant à l’arrivée d’un autre acteur, « on est plutôt neutre, indique-t-elle. Est-ce que c’est rentable, est-ce que tous les joueurs vont survivre ? On n’a jamais analysé leur système ou fait des comparatifs ».

Ailleurs au Canada, l’implantation de tels services a parfois suscité la grogne. À Toronto, quelque 950 livreurs de Foodora pourraient décider de se syndiquer, insatisfaits de leur rémunération. Ils reçoivent 4,50 $ et 1 $ par kilomètre entre le restaurant et le client, tandis que Foodora facture une commission de 30 %.

À Winnipeg, un partenaire de la première heure du service SkipTheDishes, né dans cette ville en 2012, a annoncé l’an dernier qu’il rompait les liens. Les responsables des restaurants Stella’s dénonçaient les commissions de 25 % à 30 % qu’ils devaient verser, alors que ces frais n’étaient que de 11,2 % à l’origine.

Modèle d’affaires contesté

Un sondage national récemment mené par Restaurants Canada, dont les résultats ont été rapportés par CBC, montrait l’ambiguïté des commerçants à l’égard de ces services. Quelque 35 % ont déclaré être associés à un service comme Foodora, Uber Eats ou SkipTheDishes. De ce groupe, 21 % estiment que cette association n’est « pas du tout profitable » pour eux, tandis que 10 % la considèrent comme « très profitable » et 51 %, « légèrement profitable ».

Selon un acteur montréalais bien informé de ce milieu, qui n’a pas souhaité être nommé, le modèle d’affaires de ces services basés sur une application mobile est très contesté. « Uber Eats peut exiger jusqu’à 35 %, c’est insoutenable. Et des coursiers à vélo pour Foodora vont se faire moins de 2 $ pour une livraison de 20 minutes, c’est très mal payé. La pérennité et la longévité de ces modèles d’affaires sont très douteuses. »