Le remplacement des véhicules des neuf grandes sociétés de transports collectifs du Québec par des autobus entièrement électriques coûterait au bas mot quelque 5 milliards, selon les estimations effectuées par une société de gestion spécialisée dans les acquisitions d'autobus urbains.

Le directeur général de la firme Gestion AVT, Daniel Beauchamp, affirme en entrevue à La Presse que cette estimation est même assez prudente et qu'elle pourrait varier de manière importante en fonction de la technologie qui sera à terme adoptée pour l'électrification des parcs d'autobus urbains de la province.

Gestion AVT est une société en nom collectif créée en 2010 à laquelle sont associées à parts égales les sociétés de transport en commun de Montréal, Québec, Longueuil, Laval, Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières, Lévis et Saguenay. Son mandat, très précis, est de scruter l'évolution des technologies sur le marché des autobus urbains et de gérer les appels d'offres pour l'acquisition de nouveaux véhicules à l'intention des sociétés de transport collectif qu'elle regroupe

À ce titre, la société a produit en 2013 des estimations de coûts pour évaluer l'impact d'une future conversion des parcs d'autobus actuels de la province en parcs d'autobus 100% électriques, dans le cadre de stratégies et politiques d'électrification avancées par Québec.

Selon M. Beauchamp, les coûts estimés de 5 milliards incluent l'acquisition de 4000 autobus électriques, qui serait évidemment étalé sur une période de 20 à 25 ans, mais aussi les coûts directs reliés à la mise en service de tels véhicules: les infrastructures de recharge électrique, les batteries, les transformations des ateliers, la formation des chauffeurs et du personnel d'entretien et les nombreuses modifications à apporter à la gestion d'un parc d'autobus électriques, par rapport aux autobus au diesel conventionnels ou aux véhicules à propulsion hybride.

Objectif 95%

La conversion des parcs d'autobus du Québec en mode 100% électrique fait partie depuis cinq ans d'une stratégie gouvernementale, visant à ce que 95% des déplacements en transport collectif soient réalisés dans un mode de transport mû à l'électricité. L'achalandage total des réseaux de bus actuels représente environ 45% des déplacements réalisés en transports en commun, à l'échelle de la province.

Dès 2010, la Société de transport de Montréal (STM), qui possède à elle seule un parc de 1700 autobus, a annoncé qu'elle n'achèterait plus que des autobus électriques à partir de 2025.

En 2012, le gouvernement du Québec a investi 27 millions dans la conception d'un autobus entièrement électrique de fabrication québécoise, en cours de développement dans les usines de Nova Bus, une filiale de Volvo, à Saint-Jérôme. Les premiers exemplaires de ces autobus électriques doivent être mis à l'essai l'an prochain sur le réseau de la STM dans le cadre d'un projet-pilote, financé à hauteur de 12 millions par Québec.

Il n'existe toutefois encore ni plan ni échéancier précis pour le déploiement d'autobus électriques à Montréal, ou ailleurs en province.

Des coûts inconnus

«Il y a encore beaucoup de données inconnues sur les autobus électriques, explique M. Beauchamp. Pour commencer, on ignore quelle technologie va émerger comme la plus efficace sur nos réseaux. Est-ce qu'on va aller vers des autobus à recharge lente, ce qui suppose qu'on doit brancher les autobus au garage pendant cinq ou six heures pour obtenir une autonomie de 200 kilomètres? Est-ce qu'on utilisera plutôt une technologie à recharge rapide, qui oblige à avoir plusieurs stations de recharge sur le parcours des autobus, où ils vont s'arrêter durant quelques secondes pour recharger les batteries? On ne le sait pas encore.»

Et il y a, bien sûr, le coût des autobus eux-mêmes. Aujourd'hui, le coût d'un autobus urbain au diesel est d'environ 500 000$. Le même autobus, à propulsion hybride, coûte environ 700 000$. On peut penser qu'un bus 100% électrique coûtera beaucoup plus cher.

Selon M. Beauchamp, la société chinoise qui a conçu le bus électrique BYD, dont la STM a fait l'essai l'an dernier, prévoit de lancer bientôt la production commerciale des véhicules, dont le coût pourrait atteindre 1,2 million chacun.

«Et à ce prix-là, il s'agit d'un véhicule conçu pour les marchés asiatiques, précise-t-il. Ils ne pourraient pas rouler ici sans adaptation aux normes nord-américaines, notamment sur le plan de la prévention de la corrosion. On peut penser que pour satisfaire aux normes d'ici, l'autobus BYD pourrait coûter 1,5 ou 1,6 million pièce.»

Ce qui ferait grimper d'autant le coût de conversion du parc d'autobus des sociétés de transports en commun du Québec.

Des programmes à part

Pour l'Association du transport urbain du Québec, qui regroupe les neuf sociétés de transport collectif de la province, les coûts de cette transformation sont si importants que «Québec devra investir dans l'électrification des transports collectifs pour en assurer le succès».

Dans un mémoire présenté au ministre des Finances, Carlos Leitao, dans le cadre des consultations prébudgétaires en cours, l'ATUQ estime que Québec doit notamment prendre en charge les besoins en capital pour le déploiement des réseaux électriques et le «surcoût d'exploitation» des autobus électriques, par rapport aux autobus actuels.

L'ATUQ demande aussi «que des programmes de financement visant l'électrification du transport en commun soient mis en place d'une façon distincte et complémentaire aux autres programmes destinés au transport en commun», qui ne suffisent déjà pas à combler les besoins actuels des réseaux.

Dans son mémoire, l'ATUQ indique notamment que les besoins en immobilisations de ses neuf sociétés membres sont estimés à 12,4 milliards d'ici 2020, dont 5,4 milliards pour des projets d'entretien des équipements et de remplacement du matériel roulant. Les budgets prévus pour les réseaux de transports en commun dans le Plan québécois des infrastructures, d'ici 2020, s'élèvent à un peu plus de 5 milliards, dont la majeure partie est déjà engagée dans d'autres projets, comme l'achat de nouvelles voitures de métro.