La filiale Otéra Capital, dans la controverse, n'est pas soumise aux exigences sévères de la Loi sur la Caisse de dépôt et placement du Québec concernant les conflits d'intérêts, même si elle est détenue à 97,5 % par l'institution.

Dans les derniers jours, trois cadres de cette filiale active dans le prêt immobilier ont cessé temporairement d'y travailler à la suite d'allégations de conflits d'intérêts. 

Et hier, La Presse a appris que le grand patron de l'immobilier, Daniel Fournier, s'est fait retirer la responsabilité ultime de cette filiale, vendredi dernier. La direction d'Otéra relève désormais du chef de la direction des risques de la Caisse de dépôt, Claude Bergeron.

Lors du dévoilement des résultats annuels de la Caisse, hier, le patron Michael Sabia a répété que des gestes seront faits une fois le rapport de l'enquête indépendante déposé.

« L'intégrité de cette institution, c'est non négociable », a-t-il dit.

Plus tôt en février, Le Journal de Montréal a révélé qu'Alfonso Graceffa, président et chef de la direction d'Otéra Capital, a obtenu 11 prêts de MCAP, une filiale d'Otéra, pour des immeubles dont il est propriétaire en partie. MCAP appartient à 78 % à Otéra, et M. Graceffa est président de son conseil d'administration. Par ailleurs, Otéra a aussi financé un partenaire d'affaires de son patron. 

La Loi sur la Caisse est sans équivoque. Son article 40 interdit à la Caisse de faire une opération financière dans une entreprise dans laquelle un dirigeant ou un employé de la Caisse ou d'une filiale en propriété exclusive a un intérêt.

Or, l'article 40 ne s'applique pas à Otéra, confirme le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, parce que ni Otéra ni sa filiale MCAP ne sont des filiales à 100 % de la Caisse. Vérification faite, la Caisse détient 97,5 % d'Otéra et le reste appartient au Régime de rentes de Desjardins.

Un code qui prévoit des exceptions

« Quand j'ai lu le premier alinéa de l'article 40, je me suis dit que l'article s'appliquait textuellement à la situation chez Otéra Capital », dit Luc Bernier, professeur et titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public, tenant pour acquis qu'Otéra était une filiale à 100 % de la Caisse.

La loi va beaucoup plus loin que le code de déontologie d'Otéra Capital ou de la Caisse qui stipule que le dirigeant ou l'employé « devra éviter » de se trouver dans une situation où il pourrait tirer avantage d'un contrat conclu avec la Caisse.

Le code d'Otéra dit bien à ses employés de ne pas participer à de pareilles opérations financières, mais des exceptions sont possibles si l'employé demande avis à des dirigeants et qu'il remplit un formulaire. Dans le cas de M. Graceffa, la procédure revient à demander avis à ses propres subalternes.

Enquête et suspensions

En réaction aux allégations concernant Otéra, la Caisse a rapidement ordonné la tenue d'une enquête externe indépendante menée par l'équipe de l'avocat Stéphane Eljarrat, de la firme Osler.

M. Graceffa a décidé de se suspendre de ses fonctions le temps que l'enquête suive son cours. Une vice-présidente a par ailleurs été suspendue en raison des relations d'affaires controversées de son conjoint, un prêteur alternatif. Mardi, un économiste d'Otéra a également été suspendu parce qu'il exerçait des activités personnelles de promoteur immobilier.

Pour le professeur Luc Bernier, dont l'un des thèmes de ses recherches est la gouvernance, se prêter à soi-même, comme l'aurait fait M. Graceffa, contrevient au code de déontologie de l'institution comme à celui de la filiale.

« Qu'on soit de la Caisse ou qu'on soit président d'une filiale de la Caisse, on ne peut pas se prêter à soi-même avec des fonds publics. C'est un conflit d'intérêts pur. On se sert de sa position pour se donner un avantage sur le marché. C'est un manque d'éthique flagrant. »

« Tu ne peux pas être gestionnaire d'une institution financière et t'en servir pour tes transactions privées. Il faut qu'il y ait une démarcation », soutient le professeur.