Le sort de l'immense réserve naturelle acquise par l'ex-numéro 2 de Google, Patrick Pichette, et ses associés se retrouve une nouvelle fois devant les tribunaux. Des partenaires d'affaires éconduits les accusent de diverses tromperies dans le processus d'acquisition et réclament 13,6 millions de dollars en dommages.

Dans une poursuite déposée à la Cour supérieure du Québec, l'homme d'affaires Charles Bich accuse Patrick Pichette et son associé Doug Harpur «d'actes trompeurs», de «fausse représentation» et de «mauvaise foi». Francesco Bellini, scientifique et homme d'affaires très connu qui s'était engagé à investir des millions aux côtés de M. Bich, est codemandeur par l'entremise de sa firme Picchio International.

Le noeud de l'affaire remonte à 2012. À l'époque, Oxford Properties décide de vendre la réserve de Kenauk, immense territoire de 265 km2 situé à mi-chemin entre Montréal et Ottawa. Le vaste domaine de l'Outaouais est reconnu pour sa soixantaine de lacs cristallins et sa biodiversité exceptionnelle.

MM. Bich et Bellini souhaitent acquérir une partie des terrains; MM. Harpur et Pichette, une autre portion. Les deux groupes décident donc de préparer une offre d'achat commune, avec l'objectif de se partager le territoire après la transaction, soutient la poursuite.

Les discussions progressent à un bon rythme pendant tout l'été 2013, au point qu'une proposition commune est conclue à la fin du mois d'août, allègue la poursuite. Puis, le 2 septembre, Patrick Pichette cesse subitement de répondre à ses interlocuteurs.

Deux semaines plus tard, à cinq jours de la date butoir fixée par Oxford, Patrick Pichette annonce à MM. Bich et Bellini sa décision «d'acheter la propriété derrière [leur] dos», avec «quelques amis et un prêt bancaire», soutient la poursuite. La transaction est conclue quelques mois plus tard pour un prix total de 43,7 millions.

«Fausse représentation»



Patrick Pichette promet malgré tout de revendre une partie des terrains à MM. Bich et Bellini à une date ultérieure, affirment-ils dans leur requête. Mais ils perdent vite espoir.

«Il est depuis devenu apparent que les représentations faites par Pichette étaient fausses et visaient à induire le demandeur en erreur avec un faux sentiment de confiance, à la veille de l'échéance des soumissions», soutient la requête déposée au palais de justice de Montréal.

«Les demandeurs peuvent maintenant établir que Pichette et Harpur ont changé d'idée au sujet du dépôt d'une soumission conjointe avec les demandeurs, dans les semaines précédant l'échéance des soumissions, ajoute la poursuite. Ou, pire, qu'ils n'ont jamais eu l'intention de respecter leur entente avec les demandeurs.»

Les plaignants estiment que MM. Pichette et Harpur ont tout fait pour les exclure du processus d'achat, en plus de profiter indûment d'informations confidentielles. Ils demandent donc à la Cour d'accorder 5,8 millions en dommages à Charles Bich et 7,9 millions à Picchio International (Bellini), en plus de leur céder les droits de la pourvoirie située sur la réserve Kenauk.

Pas de commentaires

Doug Harpur, propriétaire de Harpur Farms LLC - qui exploite notamment un élevage de cerfs près de la réserve -, a refusé de commenter cette poursuite.

Patrick Pichette a aussi décliné nos demandes. Les appels faits à l'Institut Kenauk - «établissement permanent de recherche» où M. Pichette siège comme administrateur - ont abouti dans les bureaux de Harpur Farms LLC. «Il n'y a personne de disponible et on n'a pas de commentaires à faire», a indiqué une réceptionniste, hier.

Patrick Pichette a annoncé son départ de la direction financière de Google en mars dernier, après sept ans à ce poste prestigieux. En entrevue à La Presse Affaires l'été dernier, il a souligné son intention de passer davantage de temps au Québec, notamment pour s'occuper de la préservation de la faune et de la flore dans la réserve Kenauk. Ce territoire suscite un vif intérêt dans le milieu scientifique, puisque son territoire est resté quasi intact depuis 300 ans et recèle des espèces rares comme l'érable noir.

Le lac Papineau, situé dans la réserve, est par ailleurs prisé par la population du petit village de Boileau. Un petit groupe de 13 citoyens s'est battu jusqu'en Cour d'appel pour conserver le droit de pêcher et naviguer sur le lac, une décision que Patrick Pichette et ses partenaires ont tenté de contester en Cour suprême.

La plus haute instance judiciaire du pays a finalement refusé d'entendre leur cause en avril dernier, donnant une fois pour toutes raison aux citoyens de Boileau.

Patrick Pichette

Le Québécois dans la jeune cinquantaine a agi pendant sept ans comme chef de la direction financière de Google, avant de quitter l'entreprise cet automne. Il entend faire le tour du monde avec sa femme avant de se lancer dans de nouvelles aventures professionnelles. En plus de s'occuper de la réserve Kenauk, il siège à plusieurs conseils d'administration, dont celui de Bombardier. Il a récemment reçu l'Ordre du Québec.

Francesco Bellini



Scientifique célèbre et homme d'affaires, Francesco Bellini a cofondé Biochem Pharma au milieu des années 80. Cette société a été à l'origine de plusieurs percées médicales liées au VIH et au cancer. M. Bellini agit aussi comme président du conseil d'administration et principal actionnaire de Picchio International, une firme qui investit dans le secteur de la santé.