Le gouvernement Marois devra s'imposer des réductions importantes dans les dépenses au cours des deux prochaines années, même s'il met de côté son engagement d'équilibrer ses finances. L'atteinte du déficit zéro est reportée de deux ans, à 2015-2016.

«Il n'y en aura pas de faciles», a laissé tomber en conférence de presse le ministre des Finances, Nicolas Marceau. Seul engagement formel: les taxes et les impôts ne seront pas augmentés.

Le Fonds des générations mis à contribution

Le déficit sera de 2,5 milliards de dollars pour l'année en cours et de 1,75 milliard l'année suivante, a-t-il confirmé. La Loi sur l'équilibre budgétaire sera modifiée, et les déficits seront épongés sur 10 ans. À partir de 2016-2017, Québec versera chaque année 425 millions pompés du Fonds des générations, somme perçue grâce à l'augmentation des taxes sur l'alcool de l'an passé, a-t-il expliqué.

Le poids de la dette brute sur l'ensemble de l'économie augmentera à 54,3% du produit intérieur brut (PIB) en 2015, mais le ministre Marceau maintient l'objectif du gouvernement Charest: la dette sera à 45% du PIB en 2026.

Hausser les taxes ou comprimer de façon draconienne les dépenses aurait un effet néfaste sur une croissance économique fragile, observe M. Marceau. La croissance sera anémique: 0,9% cette année au Québec comparativement à 1,6% au Canada. Les mises en chantier ont diminué de 30% au Québec cette année, deux fois plus que dans le reste du pays.

Admettant être «déçu» de la situation qu'il présentait, le ministre Marceau a relevé que le Québec pense arriver avant les autres au déficit zéro. «On arrivera en même temps que les autres», résume-t-il. Les 2,5 milliards de déficit pour l'année en cours représentent 0,7% du PIB. L'Ontario prévoit un déficit de près de 12 milliards. Le gouvernement fédéral canadien prévoit un déficit de près de 18 milliards, rappelle M. Marceau. En moyenne, les pays développés présentent des déficits de 4% de leur PIB, a-t-il souligné.

Les agences d'évaluation de crédit n'ont pas donné de signes d'impatience, plaide-t-il, affirmant avoir «confiance» sur le fait que la cote du Québec sera maintenue.

400 millions de compressions de plus

La croissance des dépenses globales sera de 3,3% cette année, un point de plus que prévu. M. Marceau veut la ramener à 2% en moyenne pour les trois prochaines années. Pour y arriver, il doit identifier 400 millions de dollars de compressions supplémentaires pour son prochain budget et encore 600 millions de plus pour le suivant. La croissance des dépenses de programmes sera de 2,5% cette année. Pour le ministre Marceau, de toute façon, la population favorise le contrôle serré des dépenses.

C'est du côté des recettes que les mauvaises nouvelles se sont multipliées toute l'année. Il manque 2,497 milliards de recettes cette année. Au milliard manquant l'an dernier s'ajoute 1,4 milliard qui, pour l'essentiel (950 millions), vient du manque à gagner de la taxe de vente. La faiblesse de l'inflation a également causé des maux de tête au ministre Marceau; un point de moins d'inflation lui a coûté 750 millions puisque ses taxes s'appliquaient sur des factures moins élevées.

Un bulletin dévastateur

D'entrée de jeu, Philippe Couillard, pour le Parti libéral, et François Legault, pour la Coalition avenir Québec, ont martelé qu'à moins d'un bien improbable changement de cap, leurs partis voteront contre le prochain budget, qui sera déficitaire.

«Ce sera difficile pour nous de maintenir notre confiance lors du dépôt du budget à l'Assemblée nationale, sur la base de ce qu'on voit aujourd'hui [hier]», a dit M. Couillard. Pour M. Legault, un budget déficitaire est inacceptable. La CAQ va donc voter contre. «On l'a dit et on le répète», a-t-il affirmé.

Selon Philippe Couillard, le gouvernement devrait plutôt imposer «un cran d'arrêt aux finances publiques». Tout nouvel engagement devrait être accompagné d'une compression équivalente. «C'est un bulletin dévastateur pour le gouvernement. En pratique, au Québec, il n'y a plus de budget», a lancé en point de presse le chef libéral, ajoutant que les chiffres publiés hier n'avaient pas de crédibilité.

Pour lui, les déconvenues de Québec s'expliquent par le ralentissement de l'économie, «par la perte de confiance des investisseurs dans la gouverne économique du Parti québécois».

«Je ne les crois pas, a-t-il poursuivi. Les Québécois ne peuvent plus avoir confiance en ce gouvernement qui a amené le Québec en panne.»

Ironiquement, les seuls chiffres qui semblent se maintenir, synthèse après synthèse, sont ceux des transferts fédéraux, a-t-il relevé. Selon lui, «il faut avoir du front» pour présenter comme équilibrées des années où l'on a 1 milliard de dollars de compressions à identifier.

Promesse de Couillard

Élu, Philippe Couillard promet de présenter «un plan crédible de retour à l'équilibre», mais il ne s'engage pas à atteindre déficit zéro à son premier budget.

Pour François Legault, le gouvernement Marois ajoutera 14 milliards à la dette en 3 ans, dont 10 milliards venus de la cascade d'annonces à saveur électorale de Mme Marois cet automne. «M. Marceau nous dit depuis des mois que tout va bien. Il s'est endormi au volant et là, il se réveille et s'en va dans le mur», a déclaré le chef de la CAQ.

«Le gouvernement a complètement perdu le contrôle des finances publiques. Il avait promis un budget équilibré, il n'y arrivera pas, ni cette année, ni l'an prochain», observe M. Legault. Pour lui, sans toucher aux services, le gouvernement pourrait diminuer de 1% la croissance de ses dépenses, ce qui se traduirait par une économie de 800 millions sur un budget de 80 milliards.

Du côté de Québec solidaire, Françoise David a plaidé pour une augmentation des recettes du gouvernement à même l'impôt des sociétés, l'imposition des gains de capital et des revenus de dividendes. Pas question de toucher aux impôts de la classe moyenne, prévient Mme David, qui craint que les services aux citoyens fassent à nouveau les frais des coupes gouvernementales.

Inquiétude dans les milieux d'affaires et financiers

«La mise à jour économique du gouvernement du Québec dépeint une situation alarmante des finances publiques. Depuis des années, ses budgets sont ficelés de justesse. La mollesse de l'économie commence à avoir raison des dépenses de programmes.»

- Simon Prévost, président de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ)

«Le report de l'équilibre budgétaire et le déficit imprévu de 2,5 milliards révèlent la très grande vulnérabilité des finances publiques du Québec. Un tel déficit minera la confiance des institutions financières et pourrait avoir des répercussions négatives sur le secteur privé et sur notre prospérité collective.»

- Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

«La dette publique et le déficit zéro sont des enjeux principaux pour les chefs de PME. Même si le gouvernement québécois a bien contrôlé l'augmentation des dépenses, il faudra faire plus et parler de réduction des dépenses pour ne pas s'égarer sur la voie des déficits structurels.»

- Martine Hébert, vice-présidente, Québec, de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes

«Pour contrer l'impact du ralentissement économique sur ses revenus fiscaux et ne pas retarder davantage le retour à l'équilibre budgétaire, le Québec devra restreindre certaines dépenses. C'est ce que nous surveillerons le plus à moyen terme, d'autant que ces restrictions devront être mesurées pour ne pas nuire à l'économie et affecter davantage les revenus fiscaux.»

- Mario Angastiniotis, analyste principal à l'agence de notation Standard&Poor's, à Toronto

«Je suis surpris par le soudain changement de ton budgétaire à Québec. Cela dit, c'est la sixième province à décaler son retour à l'équilibre, en raison surtout de l'érosion des revenus due à l'économie moins favorable. Si cette érosion devait s'accentuer, ce serait inquiétant pour le prochain budget et préoccupant pour la cote financière du Québec.»

- Éric Beauchemin, directeur d'analyse en finances publiques à l'agence de notation DBRS, à Toronto

«Le ministre des Finances compte avant tout sur une embellie de l'économie. Mais il admet que la croissance économique sera insuffisante pour atteindre le déficit zéro. Faudra-t-il réviser certains programmes ou le fardeau fiscal? Des décisions difficiles mais nécessaires devront être prises.»

- Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint de la Banque Laurentienne

Propos recueillis par Martin Vallières