Cela fera 10 ans samedi que la Caisse de dépôt et placement du Québec a inauguré son nouveau centre administratif. Après une naissance émaillée de scandales, l'édifice est devenu une icône architecturale et un important vecteur d'investissements pour le Quartier international de Montréal. Genèse d'un projet ambitieux.

Le parquet du centre administratif de la Caisse de dépôt est presque désert en cet après-midi neigeux de décembre. À l'exception des immenses cloches de Noël suspendues au plafond de l'atrium, l'ambiance n'a rien de festif. Et pourtant, les employés du centre célèbrent discrètement depuis le milieu du mois.

Le 22 décembre 2002, les premiers travailleurs de la Caisse emménageaient dans les bureaux flambant neufs du groupe, au coeur du Quartier international de Montréal. Une arrivée sans fanfare, dans un immeuble alors considéré comme le symbole de la controverse et du gaspillage par plusieurs Québécois.

Le déménagement n'aurait pu tomber à un pire moment pour l'institution. Le nouveau président de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Henri-Paul Rousseau, vient tout juste de fermer plusieurs filiales et de licencier 14% des employés du groupe lorsque les premiers travailleurs s'installent dans le spectaculaire bâtiment.

Rousseau, nommé en mai 2002 alors que la construction battait déjà son plein, se dit mal à l'aise avec l'envergure du siège social, qui va à l'encontre de ses goûts «plus modestes».

Une réticence d'autant plus grande que les coûts du complexe, au départ estimés à 102,5 millions de dollars, dépassent à l'époque les 300 millions. La facture totale sera beaucoup plus élevée (voir autre texte).

Malgré cette naissance sous le sceau de la controverse, peu de gens remettent en question l'importance qu'occupe aujourd'hui le Centre CDP Capital dans le paysage architectural de la métropole. «C'est toujours magnifique et splendide, c'est LE bâtiment à Montréal», tranche Frédéric Metz, membre fondateur du Centre de design de l'UQAM.

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L'arrivée de la Caisse de dépôt dans le Quartier international n'est pas fortuite. À la fin des années 90, le secteur peine à se trouver une identité. Il est balafré par l'autoroute Ville-Marie et les stationnements de surface. Les rares espaces publics, comme le square Victoria, sont déprimants et incitent à tout sauf à faire un pique-nique. Partout, le gris domine.

«Tout était mal foutu au square Victoria, et le reste du quartier, c'était les résidus de l'expropriation faite pour construire l'autoroute et le métro, rappelle Clément Demers, directeur général du Quartier international de Montréal (QIM). C'était un no man's land et une honte assez monumentale pour Montréal.»

Le secteur enclavé entre le centre-ville, le Quartier chinois et le Vieux-Montréal, héberge déjà plusieurs institutions de calibre international à la fin des années 90, mais il se cherche une direction claire. Le QIM est formellement créé en 1998 et devient en 1999 un organisme à but non lucratif, chargé de piloter le redéveloppement de tout le quadrilatère.

Dès le départ, la Caisse de dépôt s'impose comme un allié de taille de ce projet de renouveau urbain. Lorsque l'institution cherche un terrain pour ériger son nouvel immeuble, le président de l'époque, Jean-Claude Scraire, parvient sans trop de mal à convaincre le conseil d'administration de la Caisse de s'installer dans le QIM. Mais où exactement?

«J'avais dit à Jean-Claude que si la Caisse venait dans le QIM, il fallait qu'elle prenne le terrain le plus difficile, pour ne pas décourager les autres investisseurs plus frileux», dit Clément Demers, l'un des fondateurs du QIM.

La décision tombe au printemps 2000: la Caisse s'installera à cheval sur l'autoroute Ville-Marie, entre les rues Viger et Saint-Antoine, à l'est du square Victoria. Un défi logistique majeur, d'autant plus que l'administration Scraire décide de réaliser la construction en formule accélérée. Les architectes Renée Daoust et Éric Gauthier de Faucher, Aubertin, Gauthier avec Lemay & Associés conçoivent le concept du Centre CDP Capital.

«L'idée était d'avoir un immeuble de qualité, qui correspondait non seulement à l'endroit, mais au statut de la Caisse et à son rôle qui était à ce moment-là très axé sur l'international, dit aujourd'hui Jean-Claude Scraire. On a fixé des objectifs de qualité, de modernité et de satisfaction des normes de développement durable.»

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Le chantier a progressé à une vitesse rarement vue à Montréal. En un peu plus de deux ans, la majeure partie de ce «gratte-ciel horizontal» de 568 000 pieds carrés était construite. Les architectes et ingénieurs ont intégré dans l'immeuble plusieurs innovations technologiques, comme un système de récupération de l'air situé entre les deux parois vitrées.

L'arrivée d'un édifice aussi prestigieux a donné un gros coup de pouce au QIM, en contribuant à attirer de nouveaux investissements dans le secteur. Impossible de quantifier l'impact direct du Centre CDP Capital, mais on sait que les sommes injectées dans le QIM depuis 2000 frôlent les 2 milliards. Plusieurs tours de condos, hôtels et bureaux sont sorties de terre, et de nombreux autres projets sont prévus.

Le Centre CDP Capital a aussi remporté une série de récompenses au Canada et à l'étranger, dont le Prix de l'Institut royal d'architecture en 2003 et le prix BOMA international en 2009. L'imposant atrium demeure l'un des lieux les plus convoités à Montréal, souvent utilisé pour la tenue de réceptions ou le tournage de films, comme Beastly.

«Nous avons encore beaucoup de gens qui viennent visiter l'immeuble après 10 ans, des architectes et des ingénieurs qui viennent de l'extérieur du Québec pour voir ce qu'on a fait ici, dit Annik Desmarteau, la directrice actuelle du Centre CDP Capital. On a été certifiés Leed Or existing building (en 2009) sans avoir fait d'investissement majeur, parce que ça avait été pensé en fonction du développement durable. On reconnaît maintenant le fait que ça avait été visionnaire à l'époque.»

Ivanhoé Cambridge, la filiale immobilière de la Caisse qui gère le Centre CDP, n'a pas organisé d'événement public pour souligner les 10 ans de l'inauguration du bâtiment. Les employés ont toutefois eu droit à certaines activités, comme des visites dans les entrailles de l'immeuble, dit Mme Desmarteau. La responsable de l'immeuble se réjouit surtout de l'absence de signes de vieillissement, 10 ans après la construction du complexe. «Tout est encore en parfait état.»

Dany Gauthier, qui était le directeur du complexe en 2002 lorsque les premiers employés ont emménagé, croit pour sa part que la polémique du début a été enterrée. «Maintenant, je pense que tout le monde salue la vision que Jean-Claude Scraire a eue de mettre de l'avant ce projet-là.»

En chiffres

418 MILLIONS


Coût total du complexe CDP*

- 37%: Écart négatif entre les coûts de construction et la valeur marchande du complexe*

«On est sorti de là avec le prix qu'on savait qu'on paierait.» Jean-Claude Scaire, ex-président de la Caisse de dépôt

13: Nombre de prix gagnés par le Centre CDP Capital

2 MILLIARDS: Investissements approximatifs réalisés dans le Quartier international depuis 2000

500 MILLIONS: Investissements supplémentaires prévus dans le Quartier international d'ici 2017

* En date du 31 décembre 2002, selon le rapport spécial du Vérificateur général du Québec.

Sources : Vérificateur général du Québec, Ivanhoé Cambridge, Quartier international de Montréal

Un pôle d'investissements

Le Vieux-Montréal et ses immeubles historiques d'une part. Le centre-ville et ses tours de bureaux de l'autre. Entre les deux, une autoroute en tranchée, des stationnements à ciel ouvert et un quartier complètement déstructuré.

Le secteur aujourd'hui connu comme le Quartier international de Montréal (QIM) avait mauvaise mine pendant les années 90. «Le Palais des congrès comptait parmi les 10 plus importants au monde, mais les visiteurs qui venaient à Montréal pour trois jours et qui sortaient du Palais pour cinq minutes n'avaient absolument pas envie de revenir à Montréal!», rappelle Clément Demers, directeur général du QIM.

En 1997, les architectes Renée Daoust et Réal Lestage (du cabinet Daoust-Lestage) avancent l'idée de développer une vision nouvelle pour ce secteur mal aimé. Ils font part de leur projet à Jean-Claude Scraire, alors président de la Caisse de dépôt, qui devient dès le départ un allié de taille de ce projet de renouveau urbain.

Le dossier progresse rapidement et le QIM devient une organisation à part entière en 1998, sous la direction de Clément Demers. Le projet met l'accent sur les espaces verts, la création de liens piétonniers, l'installation de mobilier urbain de haute qualité et le recouvrement de l'autoroute Ville-Marie.

«Il y a de grands moments de Montréal de chaque côté de l'autoroute, il fallait recréer ce lien nord-sud», résume Clément Demers, dont la passion pour le développement du QIM semble intacte en cette fin de 2012.

Les travaux de transformation du QIM passent en deuxième vitesse lorsque la Caisse de dépôt annonce son déménagement dans le secteur en 2000. Un long tronçon de l'autoroute est recouvert. La place Jean-Paul-Riopelle est créée de toute pièce et le square Victoria, repensé de A à Z.

Ce square mal-aimé devient tout à coup séduisant, chose qui aurait été impensable il y a 20 ans, dit Jean Laurin, président de la firme immobilière Newmark Knight Frank Devencore. «L'immeuble de la Banque Nationale et l'édifice de Bell marquaient la frontière entre le Vieux-Montréal et le centre-ville. Leurs entrées sont tournées vers le nord, et personne à l'époque n'aurait pensé les tourner vers le square Victoria!»

Fortes retombées

Le budget de 90 millions attribué pour le développement du QIM a été respecté à la lettre, dit avec satisfaction Clément Demers. Les entreprises déjà présentes dans le quartier ont rajouté 16 millions pour permettre l'installation de mobilier urbain de qualité supérieure - bancs, lampadaires, granit. «Ce sont les 16 millions supplémentaires qui ont créé toutes les retombées pour Montréal», dit-il.

Et des retombées, il y en a eu. L'organisation du QIM estime à 2 milliards les sommes injectées dans le secteur depuis 2000. Parmi les principaux investissements, on compte la Tour Altoria (110 millions), l'immeuble de condos Saint-Antoine (60 millions), le complexe mixte Les Étoiles (151 millions) et l'hôtel Westin (110 millions).

Le potentiel d'investissements supplémentaires atteint un demi-milliard d'ici 2017 si la majeure partie des chantiers se réalisent, ajoute Clément Demers.

Fait à noter, le projet de renouveau urbain du QIM a gagné 32 prix pour la qualité de sa gestion et de son architecture. Il a notamment remporté le Project of the Year Award 2005 décerné par le Project Management Institute, une référence mondiale.