Pierre Shedleur est amer. À 62 ans, il a présidé lundi soir la dernière réunion du conseil d'administration de la Société générale de financement. Après 50 ans d'existence, l'ancienne Société de développement industriel disparaîtra le 1er janvier, fusionnée à Investissement Québec, un organisme quatre fois plus gros.

Il y avait une évidente partie de bras de fer entre le président d'Investissement Québec, Jacques Daoust, et lui pour la direction du futur organisme. Shedleur a été mis de côté.

Il ne dit rien, mais il voit, «comme tout le monde», que ceux qui ont pris des décisions dans le dossier de la fusion sont du même réseau. Jean Houde, l'ancien sous-ministre qui dirigeait le comité de transition, Jacques Daoust et même le ministre Clément Gignac ont tous passé une partie significative de leur carrière à la Banque Nationale. Shedleur n'était pas du groupe.

Après une carrière de 24 ans dans la fonction publique, il est envoyé sur une voie de garage: il ne sait pas ce que l'avenir lui réserve, et n'a pas eu de communication depuis plusieurs jours avec le cabinet du ministre de tutelle, Clément Gignac.

On le pressent actuellement pour Loto-Québec - Alain Cousineau doit prendre sa retraite en septembre. «Je ne suis pas sûr que ça me tente. Il faut aimer la business qui se fait là», laisse-t-il tomber. Le verra-t-on dans une autre organisation gouvernementale? «Je ne sais pas... Ça fait des années que je suis au front, à la vue du public... Peut-être serait-il temps de passer à autre chose.» Pour l'heure, il prévoit surtout prendre un long répit en Floride.

En plus d'une heure d'entrevue, il n'aura pas un mot pour défendre la fusion d'Investissement Québec et de la SGF. «Ce n'est pas l'idée du siècle», dit-il. Il fait observer que les clientèles visées sont aux antipodes: Investissement Québec prête à de petits investisseurs, quelques centaines de milliers de dollars, parfois 1 million. Les prises de participation de la SGF atteignent 30 millions en moyenne. «Ce n'est pas la même clientèle, c'est comme comparer le marché de consommation et celui de l'entreprise», analyse-t-il.

Au cours des dix dernières années, la SGF a perdu 1 milliard de dollars; son rendement des cinq dernières années est négatif, de 5,5%. «Le rendement de la SGF depuis 1974 est de 1%. Ce n'est pas bien gros mais, si on tient compte des retombées en région et des impôts payés par les travailleurs, le bilan est très positif», insiste-t-il.

La SGF a investi en tout 6 milliards de dollars, mais a permis 14 milliards d'investissements extérieurs. Ses détracteurs, dont Claude Garcia, anciennement de Standard Life, rappellent que le gouvernement aurait mieux fait d'investir en Bourse plutôt que de mettre ses billes dans la SGF. «Mais ce n'est pas notre mandat. On pourrait dire aussi qu'on serait mieux de mettre de l'argent en Bourse plutôt que dans la santé et l'éducation. M. Garcia était, je le rappelle, membre d'un comité important du conseil de la Caisse de dépôt et il n'a rien vu passer», attaque Shedleur.

Années difficiles

Le président sortant est surtout déçu d'une fusion qui tombe à ce moment-ci. La SGF a connu des années très difficiles, dans la pétrochimie et la foresterie. On n'avait pas prévu la montée des économies asiatiques, qui se sont positionnées rapidement dans les métaux. On n'avait pas davantage anticipé l'écrasement de l'économie américaine. La construction résidentielle stagne, l'internet prend la place du papier et le secteur forestier québécois crie famine.

Quand il est arrivé, en décembre 2004, après un règne de 6 ans de Claude Blanchet et un intérim de 18 mois d'Henri Roy, «les radiations qui avaient été décidées n'étaient pas suffisantes». Les règles comptables ne permettaient pas de sortir tous les canards boiteux, «cela a pris plus de temps, et alors est arrivée la crise financière de 2008».

Les pertes nettes de 2008 ont été de 261 millions, dont 240 venaient de la pétrochimie et de la forêt, des décisions qui étaient déjà prises à l'arrivée au pouvoir des libéraux, insiste-t-il. L'année suivante, en 2009, 245 millions ont été perdus: près de la moitié en pétrochimie (Cepsa Chimie à Montréal, 117 millions) et dans le secteur forestier (Kruger, 61 millions), encore une fois des décisions antérieures à 2003.

Des erreurs, il en a fait, convient-il sans détour. La SGF aura perdu près de 75 millions au total dans l'aventure du cinéma (Alliance Film ou Dark Castle), un secteur qui avait été florissant et qui avait laissé sur la touche des centaines de travailleurs spécialisés à Montréal.

Avenir rose

Mais après ces années difficiles, l'avenir est plus rose: on attend des profits alléchants de la mine d'or Osisko, à Malartic, en Abitibi, et du projet de mine de diamants dans le Nord du Québec.

Pierre Shedleur enrage quand il pense que ces bons coups ne paraîtront jamais: les profits seront intégrés aux rendements d'Investissement Québec version 2.0. Les employés et les membres du conseil d'administration de la SGF sont «déçus, blessés». «C'est un peu choquant; il n'auront jamais le crédit pour les succès obtenus.»

«La vie, c'est comme la Bourse, il y a des hauts et des creux», conclut-il, sourire en coin. Des actions de qualité peuvent devenir des aubaines sur le marché, qui fluctue constamment... «C'est le temps d'acheter du Shedleur!» lance-t-il, amusé.