Si le Québec devait nationaliser l'industrie naissante du gaz de schiste, comme certains le suggèrent, il ne faudrait pas qu'il attende trop longtemps. Car plus le temps passe et plus le rachat des entreprises de ce secteur sera coûteux.

Junex, plus important acteur québécois du secteur, n'a pas encore produit une molécule de gaz, mais sa capitalisation boursière est d'un peu plus de 100 millions de dollars. Si l'État voulait racheter l'entreprise en offrant par exemple une prime de 50% sur la valeur actuelle du titre, la facture grimperait à 150 millions pour ce seul acteur. On peut penser que la valeur des entreprises augmentera à mesure que le potentiel économique de leurs permis se précisera, ce qui ferait augmenter la note pour un acheteur éventuel.

«Il vaudrait mieux le faire maintenant que dans cinq ans», convient Pierre-Olivier Pinault, professeur à HEC-Montréal et spécialiste des questions énergétiques.

Il ne croit toutefois pas à la nationalisation. «Ça ne ferait pas changer d'avis ceux qui sont contre et ça constituerait un changement de cap de la part du gouvernement», explique le professeur.

La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a en effet répété qu'il n'était pas question pour son gouvernement de nationaliser l'industrie du gaz de schiste. Malgré tout, plusieurs des intervenants dans ce débat qui secoue le Québec estiment que la nationalisation est la seule façon d'assurer une exploitation responsable de la ressource, et d'en tirer le maximum de profit pour la collectivité.

S'il décidait de nationaliser, le Québec ne serait pas une exception. À part le Canada et les États-Unis, qui ont entièrement laissé le développement de leurs ressources naturelles à l'entreprise privée, la plupart des États contrôlent en tout ou en partie leur industrie pétrolière et gazière. C'est le cas notamment de la Norvège avec Statoil, qui a même investi au Canada, dans les sables bitumineux de l'Alberta.

La nationalisation permet à un gouvernement de mettre la main sur les profits générés par l'exploitation d'une ressource, mais ces profits ne viennent pas tout seuls. Encore faut-il investir l'argent nécessaire et prendre les bonnes décisions.

C'est la raison pour laquelle l'économiste Claude Montmarquette trouve que la nationalisation n'est pas une bonne idée. «Ce n'est pas la solution, parce que le gouvernement n'a ni l'argent ni l'expertise nécessaires pour produire du gaz», estime-t-il.

L'exploitation du pétrole et du gaz est dévoreuse de capitaux et elle comporte des risques élevés, parce que le prix du gaz fluctue énormément. «Pourquoi risquer des fonds publics quand des entreprises privées sont prêtes à le faire?» demande-t-il.

Compromis possible

Comme beaucoup d'autres économistes, Claude Montmarquette est d'avis que le rôle de l'État est de bien encadrer et bien réglementer la production de gaz de schiste. «Si on réussit au moins à faire ça, c'est une arme plus forte que l'argent», estime-t-il.

Le gouvernement doit ensuite fixer un niveau de redevances qui permet à la collectivité de toucher une juste part de l'exploitation de la ressource qui lui appartient. Une des façons d'y arriver est de lier le niveau de la redevance aux profits de l'industrie, avance l'économiste.

Pour avoir un mot à dire dans les pratiques des entreprises, le gouvernement peut aussi investir dans le capital-actions des entreprises. «On a les outils pour ça», souligne Claude Montmarquette en pensant à la Société générale de financement (SGF) et à la Caisse de dépôt, qui a fait savoir cette semaine qu'elle voulait investir davantage dans le secteur des ressources.

Ces participations, à condition qu'elles restent minoritaires, sont un autre moyen pour le gouvernement d'influer sur le développement de l'industrie et d'augmenter sa part des profits générés par l'exploitation du gaz de schiste, selon lui. «Un actionnaire important (comme le seraient la Caisse de dépôt ou la SGF) peut certainement influencer les pratiques d'une entreprise.»