Photos dénudées, guerre des médias et antagonisme politique : Jeff Bezos, richissime patron d'Amazon et propriétaire du Washington Post, accuse l'éditeur du tabloïd National Enquirer, réputé proche de Donald Trump, de tenter de le faire chanter en le menaçant de publier des clichés intimes.

Homme le plus riche du monde et fondateur d'Amazon, Jeff Bezos est devenu au fil des mois une cible favorite du président américain Donald Trump en tant que propriétaire du Washington Post - le quotidien réputé étant taxé d'« ennemi du peuple » et de source de « fake news » par l'hôte de la Maison-Blanche.

C'est dans ce contexte politique tendu que M. Bezos a publié jeudi sur le site Medium une tribune accablante contre le groupe American Media Inc (AMI), propriétaire du National Enquirer et dont le patron David Pecker est un ami de longue date de Donald Trump.

Le National Enquirer, un hebdomadaire à scandale, avait publié fin janvier des textos passionnés échangés entre Jeff Bezos et une amie au printemps 2018 ... soit plus de six mois avant l'annonce de la séparation du multi-milliardaire d'avec son épouse, MacKenzie.

Contrarié, le patron d'Amazon avait alors engagé des détectives privés pour tenter de découvrir l'origine de la fuite et déterminer si les motivations d'AMI allaient au-delà du scoop.

Selon la tribune, la réaction d'AMI n'a pas tardé : inquiet que les informations issues de cette enquête puissent être rendues publiques, le groupe a contacté Jeff Bezos pour lui demander de ne rien divulguer... et même de nier publiquement que « la couverture d'AMI était politiquement motivée ».

En contrepartie, AMI s'engageait à ne pas utiliser des photos intimes montrant des parties de corps dénudées, échangées entre Jeff Bezos et son amie.

Le milliardaire a farouchement refusé et a publié jeudi le contenu des courriers d'AMI, dénonçant avec virulence ce « chantage ».

Surtout, M. Bezos laisse entendre que les « révélations » du National Enquirer sur sa vie privée pourraient résulter de l'hostilité de Donald Trump à son encontre... mais aussi être liées à l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, contributeur du Washington Post.

Des amis de Trump

L'enquêteur chargé par Jeff Bezos d'identifier les sources du National Enquirer, Gavin de Becker, a affirmé dans un entretien au site Daily Beast que « de sérieuses pistes désignaient des mobiles politiques ».

M. de Becker s'est notamment intéressé au frère de l'amie de Jeff Bezos, Michael Sanchez, un ardent soutien de Donald Trump.

M. Sanchez fréquentait notamment Roger Stone, conseiller et proche du président américain, et Carter Page, ex-conseiller diplomatique de l'administration Trump. De quoi en faire une source plausible de la fuite, selon le Daily Beast.

Dans sa tribune, Jeff Bezos insiste également sur les étroites relations entre AMI et Donald Trump.

Le patron d'AMI David Pecker, ami de longue date de l'hôte de la Maison-Blanche, avait ainsi reconnu avoir acquis les droits de témoignages compromettants pour Donald Trump - dont celui d'une ex-actrice pornographique -, avec l'intention de ne jamais les publier... et donc de les étouffer.

Depuis, M. Pecker a cependant accepté de collaborer avec la justice dans l'enquête du procureur spécial Robert Mueller.

Enfin, Jeff Bezos avance une autre piste pour expliquer les attaques du National Enquirer et la fébrilité extrême d'AMI : l'Arabie saoudite.

La piste saoudienne

« La couverture essentielle et implacable par le Washington Post du meurtre de son collaborateur Jamal Khashoggi n'a pas été très populaire dans certains cercles, c'est indéniable », relève M. Bezos, avant de mentionner les liens supposés entre AMI et la famille royale saoudienne.

Or, selon plusieurs rapports officiels, le prince héritier Mohammed ben Salmane a ordonné le meurtre à Istanbul de M. Khashoggi, journaliste très critique du pouvoir saoudien.

Le Washington Post avait multiplié les révélations dans cette affaire, alors même que Donald Trump se refusait à critiquer directement le prince Mohammed ben Salmane.

« Pour des raisons qu'il reste à mieux saisir, l'angle saoudien semble avoir touché une corde sensible » chez AMI, observe Jeff Bezos.

« Plutôt que de capituler face à l'extorsion et au chantage, j'ai décidé de publier exactement ce que j'ai reçu, en dépit de qu'il m'en coûte personnellement », conclut Jeff Bezos. « Je ne participerai pas à leurs pratiques bien connues de chantage, renvois d'ascenseur politiques, attaques et corruption ».

Sollicité par l'AFP, AMI n'a pas réagi dans l'immédiat.