Après une année d'euphorie, c'est la douche froide pour les investisseurs particuliers chinois, qui voient désormais les Bourses locales décrocher violemment: Gu Yongbiao, sexagénaire shanghaïen, dit avoir déjà perdu l'équivalent de 1 million de dollars et pas mal de ses illusions.

«Les entreprises et les institutions nous ont pris tout notre argent. Ce sont nous, les investisseurs individuels, qui payons l'addition!», se désole M. Gu, rencontré par l'AFP dans un bureau de courtage à Shanghai.

Autour de lui, des dizaines d'autres sexagénaires examinent dans un silence consterné les écrans où s'affichent les cours des actions.

Le vert domine: ce qui signifie en Chine un recul du titre, tandis que la couleur rouge traduit une hausse.

Depuis le 12 juin, la Bourse de Shanghai a dégringolé d'environ 30% et M. Gu a vu fondre les deux tiers de la valeur de son portefeuille - soit à le croire quelque 5 millions de yuans (environ 1 million de dollars).

Pour des dizaines de millions d'investisseurs individuels et petits porteurs, l'atterrissage est brutal après une prodigieuse envolée de 150% en seulement douze mois.

Gu Yongbiao s'était mis à boursicoter il y a deux décennies après son licenciement par une entreprise d'État.

«À Shanghai, presque chaque famille compte au moins un membre qui investit en Bourse. Du coup, les turbulences nous affectent énormément», assure-t-il.

Au grand dam de M. Gu et de ses amis, les séances se suivent et se ressemblent: après un éphémère rebond lundi, Shanghai a de nouveau trébuché mardi (-1,29%) tandis que Shenzhen plongeait de plus de 5%, et ce en dépit des mesures d'urgence des autorités.

«Piégé» par le marché 

«Tout ce que je possède est placé en Bourse, et je vois mes titres plonger invariablement de 10% (la limite maximale autorisée) chaque jour», soupire Gu Yongbiao, vêtu d'un polo rose.

Il était certes conscient des risques potentiels, et du fait que la plupart des entreprises cotées étaient largement survalorisées par rapport à leurs piètres performances économiques.

Mais il n'a pu résister à la tentation de profits faciles: «J'ai été piégé», soupire-t-il.

Il est loin d'être le seul: signe de l'enthousiasme du grand public, il s'ouvrait en mai en Chine jusqu'à 4 millions de nouveaux comptes de transactions boursières chaque semaine.

Dans un pays où les mouvements de capitaux sont restreints, où les taux d'intérêt rémunérant les dépôts bancaires restent maigrelets et où l'immobilier fléchit après des années de surchauffe, les Bourses se sont imposées comme l'un des rares placements attractifs pour les épargnants.

Sur 90 millions d'investisseurs en Bourse en Chine, plus de 99% sont des particuliers, selon un régulateur.

Beaucoup se sont endettés auprès de maisons de courtage - via des «opérations sur marge» - pour acheter des actions. Un effet de levier qui a alimenté l'envolée des marchés, mais qui désormais démultiplie leurs pertes.

Quand rien ne rassure 

De l'avis des analystes, si le gouvernement a promptement réagi pour tenter d'enrayer le récent plongeon des Bourses, c'est précisément pour désamorcer la colère dans la masse des petits investisseurs.

Dans ce même bureau de courtage shanghaïen, Xiang Bailing, 74 ans, ne mâche pas ses mots sur l'incompétence supposée de Xiao Gang, président de la Commission chinoise de régulation des marchés financiers (CSRC), dont il exige la démission.

«Il y a avait une surabondance de titres disponibles sur le marché, et ils continuaient pourtant d'approuver des dizaines d'introductions en Bourse à marche forcée», fustige-t-il. Il n'a plus confiance dans les autorités.

Dans un geste d'apaisement, la CSRC s'est engagée à suspendre pour le moment toute nouvelle cotation. Et 21 maisons de courtage ont promis d'investir au moins 19 milliards de dollars en Bourse.

Pourtant, aucune de ces annonces ne semblait rassurer les investisseurs et stabiliser les marchés: la sévère correction se poursuivait dans un climat de défiance générale.

L'épisode traduit le manque cruel en Chine d'une classe établie d'investisseurs institutionnels s'imposant comme actionnaires de long terme, en contrepoids aux petits porteurs fluctuant au gré des turbulences du marché.

Un certain M. Wang se voulait cependant optimiste: «Je suis convaincu que le pays et les marchés vont monter à nouveau».

Après tout, malgré la récente débâcle, la Bourse shanghaïenne reste en hausse de 81% sur un an.

Le plongeon des Bourses chinoises

Les Bourses chinoises de Shanghai et Shenzhen sont reparties à la baisse mardi en dépit des efforts du gouvernement qui vient de dévoiler un arsenal de mesures sans précédent pour stimuler un marché anémié après une chute spectaculaire en juin.

Pourquoi le marché a-t-il grimpé ?

Les Bourses chinoises ont commencé à monter fin 2014 alors que la Chine enregistrait sur l'ensemble de l'année sa plus faible croissance depuis 24 ans.

La reprise a été alimentée par la décision de la banque centrale chinoise le 21 novembre 2014, pour la première fois depuis trois ans, de baisser ses taux d'intérêt directeurs, et, parallèlement, par le lancement d'une plate-forme d'interconnexion boursière permettant aux investisseurs internationaux d'accéder directement, via Hong Kong, à des titres cotés à Shanghai et aux Chinois d'acheter des actions cotées à Hong Kong.

L'embellie s'est poursuivie en 2015, l'indice composite shanghaïen passant au-dessus du seuil symbolique des 5.000 points début juin, dopé par le succès des opérations sur marge (opérations dans lesquelles un investisseur emprunte à une maison de courtage pour acheter des actions), un système qui permet de générer davantage de profits mais aussi davantage de pertes. Quand l'indice a atteint un pic le 12 juin, il avait grimpé de plus de 150% au cours des 12 derniers mois.

Pourquoi a-t-il chuté ?

Le jour même où le marché atteignait son apogée, le régulateur des Bourses chinoises, la Commission chinoise de régulation des marchés financiers (CSRC), annonçait son intention de limiter la pratique des opérations sur marge pour les particuliers qui investissent en Bourse. Le jour suivant, elle interdisait également les transactions avec des fonds empruntés hors du système de ces opérations sur marge.

Lorsque les marchés ont rouvert, les investisseurs, inquiétés par ces restrictions, ont commencé à se désengager, et le mouvement est devenu incontrôlable, résultant en un plongeon de plus de 30% de la Bourse de Shanghai en trois semaines. La débâcle s'est accrue lorsque les investisseurs ayant effectué des opérations sur marge ont été contraints de liquider leurs actions pour effectuer des paiements.

Qu'a-t-il été fait pour soutenir le marché ?

L'indice shanghaïen a plongé de 7,4% le 26 juin, et le jour suivant, la banque centrale chinoise a annoncé qu'elle abaissait ses principaux taux d'intérêt et réduisait le ratio de réserves obligatoires des banques.

La CSRC a également décidé d'un assouplissement des règles restreignant les opérations sur marge ainsi qu'une réduction des frais de transaction boursière.

Peu de temps après, le gouvernement annonçait aussi un projet d'introduction en Bourse de fonds de pension, d'importants investisseurs institutionnels dont les achats de titres sur le marché devaient permettre de soutenir les cours.

Afin d'enrayer la dégringolade, la CSRC a également réduit le nombre et l'ampleur des nouvelles introductions en Bourse, puis est allée encore plus loin en les stoppant pour le moment.

La Banque centrale chinoise a annoncé qu'elle allait fournir des liquidités à la China Securities Finance Corp, une société publique de financement d'opérations sur marges, afin de «protéger la stabilité du marché actions», tandis que les 21 plus grosses maisons de courtage ont indiqué qu'elles allaient investir au moins 120 milliards de yuans (19,3 milliards de dollars) dans des actions.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Personne ne le sait réellement et le marché demeure très volatil. Les investisseurs obligés de vendre pourraient faire baisser encore les prix, ou des chasseurs de bonnes affaires pourraient saisir l'opportunité pour acheter.

«La confiance des investisseurs envers les marchés étant brisée, il est très difficile de dire quand le marché va se stabiliser et se remettre de sa récente chute», indique à l'AFP Zhang Qi, analyste chez Haitong Securities. Il estime que l'indice composite shanghaïen pourrait rebondir aux alentours des 4000 points au cours du mois prochain.

Quelles sont les possibles conséquences ?

Certains analystes estiment que la chute du marché boursier peut nuire à l'économie chinoise, la deuxième économie mondiale, et pourrait entraîner des troubles sociaux bien que l'État, avec un système de parti unique, ait la mainmise sur l'opposition.

Selon certaines estimations, l'envolée de la Bourse a contribué à hauteur d'un demi-point de pourcentage à la croissance économique chinoise au premier trimestre, mais une correction pourrait avoir un impact bien plus grand.

«L'affaissement du marché boursier a soulevé les inquiétudes de risques systémiques», a indiqué ANZ Banking Group.