Ce pourrait être Laval ou Repentigny dans quelques années. Des immeubles à logements à perte de vue, qui se vident peu à peu à mesure que la population vieillit. Mais cette banlieue de Tokyo se prépare à accueillir une communauté qui assurera peut-être l'avenir du Japon.

L'idée est de créer des emplois sur place, pour une population vieillissante qui ne veut plus travailler 60 heures par semaine et faire deux heures de transport en commun par jour, explique Hiroko Akiyama, grande spécialiste du vieillissement de la population et professeure à l'Institut de gérontologie de l'Université de Tokyo.

Le Japon manque de main-d'oeuvre et il a commencé depuis longtemps à automatiser très efficacement tout ce qui peut l'être. Dans nombre de restaurants, par exemple, une machine prend la commande et le paiement, et l'assiette est ensuite livrée sur la table par une personne en chair et en os, qui peut ainsi servir plus de convives, plus rapidement.

Mais les machines, même sophistiquées, ne peuvent pas tout faire. Le recours à la main-d'oeuvre étrangère n'a jamais été considéré comme une solution au Japon, où les travailleurs non japonais représentent seulement 2% de la population active.

Selon Mme Akiyama, la solution à la pénurie de main-d'oeuvre se trouve chez les retraités, et chez les femmes qui, après avoir élevé leurs enfants, sont prêtes à réintégrer le marché du travail. «En Occident, la plupart des travailleurs rêvent de prendre leur retraite à 55 ans et de voyager et jouer au golf, explique-t-elle. Pas ici.»

Sondage après sondage, cet avantage du Japon se confirme. Plus de 80% des travailleurs âgés de 55 à 65 ans veulent continuer de travailler à la retraite, précise Hiroko Akiyama.

Leur motivation? Rester en santé, arrondir leurs rentes de retraite et continuer de contribuer à la société. «Il y a chez les Japonais un sens du travail qui n'existe peut-être pas ailleurs», dit la spécialiste.

Comme les Japonais vivent vieux et en santé, la société peut en profiter. C'est ce que veut faire l'Agence de renaissance urbaine avec le projet de Kashiwa, la banlieue-dortoir qui se prépare une nouvelle vie.

«On vit jusqu'à 90 ans et on travaille jusqu'à 60 ans. On fait quoi, pendant 30 ans?» demande Yoshimura Hiroyuki, le directeur de cette agence à Kashiwa.

La réponse à cette question, aujourd'hui, est simple. Après avoir travaillé le plus longtemps possible, les hommes prennent leur retraite à contrecoeur et rentrent chez eux où ils ne connaissent personne, à part leur femme. Ils passent leur journée devant la télé. Les femmes, elles, qui en grande majorité ont passé leur vie à prendre soin du foyer, tolèrent difficilement la présence constante de ces maris désoeuvrés.

Kashiwa veut remettre au travail cette main-d'oeuvre potentielle, au bénéfice de tout le monde. Des appels d'offres ont été lancés pour attirer des entreprises dans le quartier. Et les entreprises ont répondu. Zensho, une chaîne de restauration rapide, viendra s'installer pour diversifier ses activités dans le slow-food et la livraison de repas à domicile, maintenant que sa clientèle a de plus en plus de temps pour manger.

Huit sortes d'emplois différents seront créés, précise Mme Akiyama, qui supervise le projet. Il y aura de l'agriculture à petite échelle, des soins à domicile, des commerces de proximité. «Pas du bénévolat, souligne-t-elle, mais des emplois rémunérés, avec des horaires flexibles pour accommoder des retraités qui veulent avoir plus de temps à eux pour visiter leurs enfants, par exemple.»

À Kashiwa, il sera possible de travailler une journée par semaine ou cinq, trois mois par année ou dix, à des salaires équivalents à ce qui se paie ailleurs au Japon, précise Mme Akiyama.

Les logements de la ville ont commencé à être rénovés pour accueillir ces nouveaux travailleurs. On ajoute des ascenseurs, on élargit les cadres des portes pour que les personnes à mobilité réduite puissent circuler facilement. Un parc de voitures en partage est déjà installé.

L'expérience de Kashiwa suscite beaucoup d'attentes. «Le gouvernement compte sur ce projet pour donner l'exemple d'une ville qui peut continuer d'être habitée par une population vieillissante», dit Yoshimura Hiroyuki.