Même si la crise fiscale européenne reste à l'avant-scène économique et financière mondiale, un autre drame politique se joue derrière les rideaux. Il est porteur à son tour de son lot de coups de théâtre, susceptibles de menacer la reprise encore hésitante de la première économie du monde et de miner celle de son voisin nordique.

Le Congrès américain reprend de plus belle ces jours-ci la même querelle partisane qui avait abouti cet été à l'abaissement de la note de crédit des États-Unis par l'agence Standard&Poor's.

Avant la relâche de l'été, les congressistes devaient s'entendre sur un relèvement du plafond de la dette américaine qui, à 14 000 milliards US, est la plus grosse au monde. Pour y arriver in extremis, ils avaient convenu de coupes de 900 milliards US, première phase d'une réduction du déficit de 2100 milliards US en 10 ans. Depuis 2008, il dépasse les 1000 milliards US chaque année.

Ils avaient aussi mandaté un comité de 12 congressistes (six sénateurs et six représentants venant à part égale des rangs démocrates et républicains) pour trouver les 1200 milliards US manquants par un dosage de coupes et d'augmentations de revenus. Faute d'accord d'ici la Thanksgiving (dans 10 jours!) et d'adoption des recommandations par les deux Chambres avant la fin de l'année, des coupes aveugles de 1500 milliards US entreront en vigueur, à partir du 1er octobre 2012, qui marque le début de l'année financière 2013 et la dernière ligne droite avant les élections présidentielles du 3 novembre.

Étant donné la ligne partisane dysfonctionnelle au Congrès, les risques d'échec sont énormes.

Les démocrates recherchent une solution qui inclut des coupes dans la fonction publique et l'appareil militaire, assorties de hausses d'impôt pour les plus nantis, dont le taux moyen d'imposition des revenus est plus faible que celui de la classe moyenne. Leurs revenus proviennent surtout de gains en capital, moins imposés que les salaires.

Les républicains, eux, veulent surtout des réductions de coûts des programmes sociaux, y compris la couverture médicale qui représente des dépenses grandissantes avec le vieillissement de la population.

Comme pour simplifier les choses, les élus ont convenu en décembre dernier d'un nouveau stimulus qui prévoyait la reconduction pendant deux ans des baisses d'impôt pour les riches et la classe moyenne, adoptées par le président George W. Bush au début de son premier mandat. Ils avaient aussi convenu d'une diminution de 2% d'une taxe sur les salaires pour l'année en cours.

Faute d'entente, ces deux mesures prendront fin et mordront dans la croissance dès l'an prochain et surtout en 2013.

Pour réduire le chômage qui mine sa présidence, Barack Obama a en outre proposé, en septembre, la reconduction de la baisse de taxe sur les salaires qu'il veut étendre aux employeurs. Pour financer cette mesure, il proposait un grand ménage de toutes les échappatoires à la loi sur les impôts qui permettent à de très grandes entreprises de soustraire leurs profits au fisc.

Cet aspect de sa proposition déplaît aux républicains qui, en revanche, sont plus ouverts aux nouvelles baisses d'impôts que comporte la proposition.

Il est toujours possible que les élus parviennent à concocter un compromis qui mettrait l'accent sur des stimuli, à court terme, jumelés à des coupes accrues et à des hausses de revenus à plus long terme.

Compromis partiel

Ce scénario optimal est malheureusement moins probable à mesure que le temps file. Un compromis partiel reste plus vraisemblable: on s'entend, mettons, sur 600 milliards US de réductions du déficit et on laisse le reste aux coupes aveugles en en faisant un enjeu majeur des présidentielles.

En pareil cas, la croissance serait touchée, tout comme la confiance des ménages et des entreprises. Rien en somme qui stimulerait l'emploi.

Fitch et Moody's imiteraient à coup sûr Standard&Poor's qui a justifié sa décision estivale par l'incapacité des élus à doter les États-Unis d'un plan de réduction du déficit convaincant.

Washington parviendra encore à se financer à des taux très avantageux parce que les marchés jugent toujours solvables les États-Unis et parce qu'il n'existe rien de plus liquide que les Treasuries.

À la différence des tergiversations des élus européens, celles des congressistes auront des conséquences avant tout sur l'économie américaine.

Les acheteurs de Treasuries ne seront sans doute pas inquiets outre mesure, mais les fabricants et travailleurs en usines canadiens le seront beaucoup plus en cas d'échec.

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UNE ÉQUATION À PLUSIEURS INCONNUES

Le défi de Washington:

D'ici au 23 novembre, il faudra trouver une façon de réduire le déficit de 1200 milliards en 10 ans.

En cas d'échec:

Le gouvernement devra imposer des coupes aveugles de 1500 milliards sur 10 ans, à compter du 1er octobre 2012, et mettre fin aux réductions d'impôts adoptées en 2001 et 2003.

L'impact :

Réduction évaluée à trois points de pourcentage au PIB de 2013 et rechute en récession de l'économie américaine.