En retirant à Produits forestiers Résolu une partie des droits hydrauliques qu'elle détient depuis des temps immémoriaux, le gouvernement du Québec signale-t-il un changement dans son rapport de forces avec les grandes entreprises qui exploitent les ressources naturelles ? Plusieurs espèrent que oui.

«C'est assez triste là-dedans». Aller à l'usine, ces temps-ci, c'est comme aller au salon funéraire, disent les gars qui travaillent encore à l'usine Kénogami de Produits forestiers Résolu.

Ils ont déjà été plus de 1000 dans cette immense usine pour alimenter sept machines à papier tournant à plein régime. Ils sont 250 depuis que Résolu a fermé une des deux machines restantes, un peu avant Noël.

«À une seule machine, on est vulnérables. Ça veut dire que la fin est proche», résume Daniel Maltais, qui a déjà passé 37 ans dans cette usine.

Personne n'a été surpris quand l'entreprise a annoncé la fermeture temporaire d'une des deux machines à papier journal de l'usine Kénogami, qui fête ses 100 ans cette année. Dans les usines de pâtes et papiers, tout le monde est habitué à ça. Mais une semaine plus tard, la nouvelle d'une fermeture permanente de la machine numéro 6 a secoué toute la région.

L'onde de choc s'est même propagée jusqu'à Québec, où le ministre des Ressources naturelles a fait ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'a jamais fait. Il a retiré à Résolu le droit de produire de l'électricité pas cher avec une des centrales hydroélectriques qu'elle possède depuis des temps immémoriaux.

Pas d'investissement, pas de droits hydrauliques, a décrété le gouvernement.

Un coup dur

Sans droits hydrauliques, nos coûts augmentent et notre capacité d'investir diminue, souligne le directeur de l'usine Kénogami, Michel Leroux.

La centrale Jim-Gray sur la rivière Shipshaw peut produire 63 mégawatts. C'est le tiers de la capacité de production totale d'Hydro-Saguenay, le mini-réseau de Résolu au Saguenay.

Il y a un an, Hydro-Saguenay a été transformée en centre de profit, qui vend son électricité aux deux usines de l'entreprise dans la région au tarif d'Hydro-Québec, soit 4,5 cents le kilowattheure. «Ça nous a permis de comparer les coûts de nos usines», explique Michel Leroux.

Les travailleurs de Kénogami, eux, estiment que ce changement comptable a signé l'arrêt de mort de leur usine. Il a augmenté ses coûts de production de 80$ la tonne. «Sans l'avantage énergétique, on ne peut plus compétitionner comme avant avec des usines plus récentes», estime Régis Duchesne, leur représentant syndical.

L'usine centenaire peut-elle survivre avec une seule machine et sans l'avantage énergétique? Michel Leroux assure que oui. «C'est le mandat que j'ai reçu et j'ai bien l'intention de faire la preuve que c'est possible», assure celui qui vient d'arriver dans la région, après avoir travaillé à l'usine de Résolu à Clermont.

Mais selon lui, la perte de la centrale Jim-Gray aura inévitablement des conséquences sur l'avenir des usines de Saguenay et d'Alma, au Lac-St-Jean.

L'usine d'Alma, où travaillent 450 personnes, ne fabrique plus de papier journal depuis 2004. Elle a été modernisée et fabrique du papier d'impression plus écologique, baptisé Align.

Son directeur, Carl Dahl, croit lui aussi que la perte des avantages énergétiques change la donne. «La prochaine fois que j'irai voir les actionnaires pour obtenir un investissement, j'aurai moins d'arguments», dit-il.

Depuis 13 ans qu'il est le patron de l'usine d'Alma, Carl Dahl a vu sa marge de manoeuvre se rétrécir. Il y a eu la hausse du dollar canadien, la hausse du prix des copeaux et maintenant, l'augmentation du prix de l'énergie.

«On perd des plumes, illustre-t-il. C'est comme un oiseau. À chaque fois qu'on m'enlève des plumes, j'ai de plus en plus de misère à voler».

La perte de la centrale Jim-Gray, c'est comme perdre une aile au complet, selon lui.

L'oiseau risque de ne plus pouvoir voler et la région y perdra, pas la compagnie, croit Carl Dahl. «Résolu ne ferme pas des usines parce qu'elle est fâchée contre le gouvernement. Elle ferme parce qu'elle ne fait plus d'argent».

Les prochains sur la liste?

Autour de la table, il y a un grand total de 214 années d'expérience à l'usine Kénogami de Jonquière, maintenant devenue un quartier de la nouvelle ville de Saguenay.

Les travailleurs qui sont là sont convaincus que si leur usine ferme, c'est parce que leur employeur n'a pas pris les bonnes décisions. «On accuse le marché, dit Régis Deschênes. Mais quand le marché change, on peut changer de produits. On peut se servir de nos centres de recherche, de nos universités. C'est gratuit. On a aussi des outils, comme la Caisse de dépôt et le Fonds FTQ».

Abitibi, qui se fait maintenant appeler Résolu, n'a rien fait de tout ça, selon eux. L'entreprise n'est même plus membre du centre de recherche-développement de l'industrie, FPInnovation, par souci d'économie.

L'entreprise a des projets de diversification, encore vagues, dans le bois d'ingénierie et les biocarburants. Son président, Richard Garneau, a déjà dit vouloir «rapetisser de façon rentable».

Ça fait des années que les syndiqués déplorent la vision à courte vue de leur employeur. Ils ne sont pas les seuls. La ville de Saguenay a versé 27 000$ à la firme spécialisée Metso pour identifier des voies d'avenir pour l'usine. L'entreprise n'a pas donné suite.

Beaucoup de monde a consenti des sacrifices pour l'aider à éviter la faillite. Les employés ont avalé des baisses de salaires de 17%. Les fournisseurs de la région ont dû faire une croix sur 8,7 millions de créances. Le gouvernement du Québec a fait sa part en permettant à Abitibi de rembourser le déficit de son régime de retraite sur une plus longue période et en rachetant une centrale hydroélectrique appartenant à l'entreprise.

Aujourd'hui, les travailleurs sont épuisés, moralement et psychologiquement. N'allez pas leur parler du Plan Nord et des emplois qu'il pourrait créer par milliers.

«J'ai mon diplôme de papetier, qu'est-ce que je ferais dans les mines, se demande Claude Baril, qui a 11 ans d'ancienneté chez Résolu et déjà trois expériences de fermeture: Gatineau, Dolbeau et Kénogami. Il a trois fils, âgés de 19 à 23 ans. «Je les encourage à faire autre chose dans la vie», dit-il.

«On veut faire un nouveau produit, dit Régis Deschênes. On a tout ce qu'il faut, la ressource, l'équipement, la main-d'oeuvre».