La Presse donne la parole aux grands dirigeants du Québec. Chaque semaine, un patron répond à cinq questions posées par le chef d'entreprise interviewé la semaine précédente. Et ainsi de suite. Jocelyne Dallaire-Légaré, présidente d'Alfred Dallaire Memoria, répond aujourd'hui aux questions de Gilbert Rozon, président fondateur du Groupe Juste pour rire.

Quel est l'état général de l'industrie nord-américaine de la mort?

Avant, j'aimerais répondre avec un mot d'humour à Gilbert Rozon, avec qui j'ai étudié en droit. Arthur Rubinstein disait: «Je me suis habitué à la mort: un pianiste est un homme déguisé en croque-mort, avec en face de lui, constamment, son piano qui ressemble à un corbillard.» Moi, je suis une croque-mort déguisée en artiste. Je voulais être poète et je suis devenue croque-mort. Alfred Dallaire a plein d'activités connexes. J'ai fondé les Films JAD, ma fille a créé les Éditions du passage, nous avons aussi ouvert le café Salon B. On est particuliers, ça nous donne une longueur d'avance sur l'industrie. Celle-ci se porte bien d'ailleurs, surtout en raison du vieillissement de la population. Il y a des multinationales qui rachètent les petites entreprises sans relève. En revanche, la crémation est en croissance, ce qui diminue le chiffre d'affaires de ces mêmes multinationales.

Quels sont vos plus grands défis?

Nous devons nous adapter aux changements de valeurs de notre société et répondre aux gens qui sont de langue et de culture différentes. La vision de la société face à la mort a changé; il faut s'adapter. Ça, on l'a. Notre équipe multidisciplinaire nous permet d'offrir aux gens ce qu'ils veulent. Nous pouvons entre autres faire des films, nous avons un service de traiteur et nous offrons des services d'accompagnement, comme de l'art-thérapie.

Quelles sont les menaces pour votre entreprise?

En 2009, une multinationale a obtenu le droit de vendre aussi des assurances frais funéraires, pourtant interdites depuis des années. On s'est mobilisés, on a beaucoup travaillé contre ça. J'ai même fait un film là-dessus. La loi a maintenant été abrogée, mais la menace plane encore. L'autre menace, qui concerne l'ensemble de l'industrie, est de ne pas savoir se réinventer. Notre milieu est assez traditionnel et réfractaire au changement.

Comment avez-vous géré la transition familiale? Avez-vous des conseils pour ceux qui passeront par là?

Mon père a d'abord racheté l'entreprise de mon grand-père, puis on l'a reprise en 1996, mon frère et moi. Depuis 2003, je suis seule à la tête, mais je suis épaulée par ma fille. J'ai dû emprunter à la banque pour racheter l'entreprise à mon père, et ça a été une bonne leçon.

Une transition ne doit pas être trop facile, il faut mettre au défi ceux qui nous suivent. Par contre, ça ne doit pas être trop difficile, puisqu'il faut garder ces entreprises au Québec. On doit aussi éduquer nos enfants, les préparer. Et selon moi, les structures bicéphales ne fonctionnent pas. Il faut un seul chef, entouré d'équipes extrêmement fortes, des gens de tous les milieux qui renforcent l'entreprise familiale.

En détail, quel genre de funérailles souhaitez-vous pour vous? Incinérée ou embaumée? Cérémonie particulière: musique, discours, etc.

Je laisserai à ma fille et à ceux que je laisse derrière moi le soin de décider si je serai incinérée ou embaumée. Je souhaite qu'on plante au moins un arbre en ma mémoire sur chaque site que j'aurai à ce moment-là. Ma cérémonie devrait se passer au complexe funéraire sur Saint-Laurent, parce que c'est le premier site dont j'ai eu la clé et celui qui a remporté un prix de design. Si j'ai un service, ce sera à l'église portugaise de la rue Rachel, pour que les gens puissent marcher. L'Adagio de Barber, I Will Survive et la chanson Le croque-mort à coulisse joueront. Il y aura de belles fleurs, une vidéo souvenir aussi. J'invite d'ailleurs Gilbert Rozon à venir me voir. On organisera ses funérailles ensemble!

À lire la semaine prochaine: Gérard Bibeau, président et chef de la direction de Loto-Québec, répond aux cinq questions de Jocelyne Dallaire-Légaré.

Le parcours de Jocelyne Dallaire-Légaré en bref

Âge: 62 ans

Études: Jocelyne Dallaire-Légaré a obtenu un baccalauréat en études françaises et communication à l'Université de Montréal, puis elle s'est tournée vers le droit. Elle est membre du Barreau.

Présidente depuis: 1996

Nombre d'employés: Une centaine

Avant d'être présidente: Elle a exercé quelques années comme avocate.