Le fabricant du controversé pistolet électrique Taser tentera une nouvelle percée dans les agences policières canadiennes, cette fois avec ses caméras corporelles. L'entreprise américaine espère convaincre les chefs de police de tout le pays à l'occasion de leur congrès annuel, la semaine prochaine à Québec.

Pour prouver le sérieux de sa démarche, Taser annoncera aujourd'hui la création d'une toute nouvelle entité, appelée Axon Public Safety Canada. Cette filiale sera destinée à mettre en marché ses caméras de marque Axon et son système de gestion des vidéos.

« Aux États-Unis, la majorité des corps de police dans les grandes villes ont opté pour un tel système de caméras corporelles, fait valoir en entrevue Luke Larson, président de Taser. Ce qu'on voit au Canada, c'est qu'ils sont quelques années en retard dans la courbe d'adoption. »

Plus de 5000 corps policiers utilisent les caméras Axon dans le monde, indique Taser, une firme basée en Arizona et cotée sur la Bourse NASDAQ. Ces systèmes de captation miniatures permettent de réduire considérablement les cas de violence policière, affirme l'entreprise, en plus de faire chuter le nombre de plaintes en déontologie.

Enjeux éthiques

De nombreux points restent toutefois en suspens, notamment au chapitre de la protection de la vie privée. Pendant son congrès de la semaine prochaine, l'Association canadienne des chefs de police (ACCP) demandera à ses membres s'ils souhaitent adopter un cadre commun pour l'utilisation de tels équipements au pays.

« À ce point-ci, je peux seulement vous dire que nous comprenons et apprécions les mérites des caméras corporelles, et nous sentons que c'est un outil efficace et désirable pour les officiers, a indiqué Timothy Smith, porte-parole de l'ACCP. Toutefois, nous devons adopter une approche prudente qui tient compte des protocoles pour l'usage, l'entreposage des données et les coûts. »

Aucun grand corps policier canadien n'a encore adopté de tels équipements à large échelle. Des projets-pilotes sont en cours à Toronto, Vancouver et Calgary, tandis qu'Edmonton a mené un essai prolongé (voir encadré). Le Service de police de la Ville de Montréal regarde pour sa part ce qui se fait ailleurs et évalue divers « enjeux » avant de prendre une décision, a indiqué une porte-parole.

Réputation à redorer

Pour l'heure, la gestion des milliers d'heures de vidéo captées par les policiers - et leur entreposage subséquent - représente un casse-tête de taille pour les forces de l'ordre. Taser capitalise sur cette problématique avec son offre intégrée, qui permet de stocker toutes les images sur son site Evidence.com. L'entreprise fait miroiter des économies de taille aux corps policiers.

Il reste que la réputation de Taser est loin d'être sans taches. Ses pistolets à décharge électrique, commercialisés depuis 1993, ont causé une série de morts très médiatisées, dont celle de Robert Dziekanski à l'aéroport de Vancouver en 2007.

Luke Larson, président de Taser, défend son produit. « S'ils sont mal utilisés, il y a un potentiel pour des conséquences négatives, mais dans nos 21 ans d'existence, nous avons eu plus de 2,8 millions de Taser déployés, qui ont permis de sauver plus de 150 000 vies. »

Taser a enregistré un chiffre d'affaires de 46,7 millions US au deuxième trimestre. Du total, 8,9 millions ont été générés par les produits de la gamme Axon, une hausse de 97,5 % sur un an. Le titre du groupe a clôturé à 23,25 $US hier sur le NASDAQ, en baisse de 4 %.

Infographie La Presse

L'expérience d'Edmonton

Le service de police d'Edmonton a mené un projet-pilote de trois ans avec des caméras corporelles, notamment celles de Taser. Ses conclusions sont, disons, plus nuancées que les résultats spectaculaires promis par l'entreprise. L'étude sur le projet, qui fait 241 pages, indique par exemple que la présence de caméras n'a pas réduit l'usage de la force et qu'elle pourrait même empêcher les agents d'utiliser la force appropriée au besoin. Le projet-pilote n'a pas non plus permis de déceler une baisse des plaintes grâce à ces équipements. La police d'Edmonton a tout de même décidé d'adopter graduellement les caméras corporelles d'ici deux à cinq ans. Ces caméras seront utilisées dans un contexte précis, comme les scènes de crime, et l'utilisation des images sera soumise à plusieurs critères stricts pour protéger la vie privée des citoyens.