Une Fiat 500 gratuite à l'achat d'une maison? C'est le dernier truc pour attirer les acheteurs dans le marché immobilier déprimé de Vancouver. Avec des prix en baisse de 15% et des ventes en chute libre, la ville la plus chère du pays traverse une période de transition qui s'annonce longue et pénible. Visite libre.

Comptoirs de granite, plancher de bois exotique, électroménagers haut de gamme. Philip Chan ne manque pas d'arguments pour vanter les charmes de sa plus récente propriété à vendre, une maison jumelée de 1,89 million de dollars du quartier Kitsilano, à quelques minutes du centre-ville de Vancouver.

La résidence a été construite au sommet de la frénésie immobilière, début 2012. Comme le veut la pratique locale, un promoteur a détruit l'ancien bungalow qui se dressait sur le terrain pour y bâtir deux maisons offertes à prix d'or. Il y a quelques mois, ces résidences coquettes se seraient vendues en quelques jours pour 2,2 millions, dit M. Chan, courtier chez Re-Max. Mais aujourd'hui, c'est le calme plat. Même avec un escompte de 300 000$.

Le marché immobilier de Vancouver, de loin le plus cher au Canada, a freiné d'un coup sec au milieu de l'été. Les ventes ont chuté du tiers, les délais se sont allongés, et les prix ont enregistré le déclin le plus prononcé du pays. «Ils ont baissé de 15% en moyenne depuis le sommet du marché», reconnaît Philip Chan, réaliste malgré son sourire bienveillant de vendeur.

Pour prouver ses dires, Philip Chan sort les fiches descriptives de deux maisons identiques vendues cette année dans Kitsilano. La première, en février, a fait l'objet d'une surenchère et a récolté un prix de vente de 1,050 million. En neuf jours. La deuxième a mis quatre fois plus de temps à trouver preneur en octobre, pour 890 000$ cette fois.

«C'est ça la nouvelle réalité», résume le courtier en pointant un graphique dans sa pile de documents.

Philip Chan ne se décourage pas pour autant. Il croit que les prix remonteront bientôt en raison d'une «demande refoulée», comme ils l'ont fait après la crise financière de 2008-2009. Entre-temps, pour attirer les acheteurs, il offre une Fiat 500 à l'achat d'une maison.

Un truc comme un autre pour se démarquer en cette nouvelle ère post-boom immobilier.

Une montée étourdissante

Lentement mais sûrement, le marché immobilier de Vancouver a atteint des niveaux stratosphériques. Au cours des deux dernières décennies, la métropole de Colombie-Britannique s'est hissée au palmarès des villes les plus inabordables de la planète. Elle se classe au deuxième rang mondial, tout juste derrière Hong Kong, selon un classement publié au début de l'année par la firme américaine Demographia.

À 927 500$, le prix médian des maisons individuelles y atteint presque 14 fois le revenu médian des ménages. En incluant les condos, le ratio tombe à 10. La moyenne historique canadienne se situe davantage aux environs... de 2,5.

«Pour faire des comparables, le marché le plus richement évalué aux États-Unis est San Francisco, où les prix atteignent environ 6,9 fois le revenu médian», dit David LePoidevin, vice-président et conseiller en investissement à la Financière Banque Nationale à Vancouver.

Le financier est l'un des plus pessimistes au pays quant à la trajectoire du marché immobilier de Vancouver. Dans son bureau du centre-ville, qui offre une vue imprenable sur les montagnes Rocheuses, il est intarissable lorsqu'il énumère les causes de cette montée effrénée des prix. Une escalade qui relève en bonne partie de la «folie collective», croit-il.

«Comment cette distorsion s'est-elle installée? demande-t-il. Des prix en hausse mènent à des hausses de prix. En d'autres mots, plus un actif grimpe en valeur, que ce soit une action ou un bien immobilier, et plus cette croissance dure longtemps, plus les gens pensent que c'est une tendance permanente. Cela fait partie de la nature humaine.»

La forte demande asiatique - d'abord de Hong Kong à la fin des années 90 puis de la Chine continentale à partir des années 2000 - a joué un rôle majeur dans le boom.

Des milliers d'acheteurs ont collectivement allongé des milliards pour acquérir un morceau de Vancouver, comme en témoignent les dizaines de tours à condos vitrées qui ont poussé comme des champignons dans les quartiers centraux. Une bonne partie de ces Asiatiques ont acheté leurs propriétés à des fins d'investissement, mais aucune statistique fiable n'existe sur le sujet.

La baisse draconienne des taux d'intérêt - surtout après la crise de 2008-2009 - a jeté encore plus d'huile sur le feu immobilier de Vancouver en dopant la demande aux stéroïdes. En quelques années, les prix déjà élevés sont devenus prohibitifs. Les banques ont ouvert toutes grandes les vannes du prêt hypothécaire, permettant à des acheteurs toujours plus nombreux d'entrer sur le marché.

Des acheteurs trop nombreux, croit en fait David LePoidevin. Et imprudents.

«Nous avions une cliente avec un revenu annuel de 70 000$, qui a acheté huit condos à des fins d'investissement ici à Vancouver, raconte le financier. Elle a essayé d'en acheter un neuvième, et finalement, la banque a dit non. Comment cela se rend-il aussi loin? C'est très dur d'expliquer cette exubérance irrationnelle.»

Le sommet

Malgré la frénésie collective et la pression grandissante pour accéder au statut de propriétaire, certains ont résisté. Mykle Ludvigsen, directeur des communications au Collège des pharmaciens de Colombie-Britannique, a un emploi stable et un excellent salaire qui lui auraient permis d'emprunter une somme considérable à la banque. Il se félicite aujourd'hui de ne pas avoir écouté ses parents et amis qui l'encourageaient chaudement à acheter un condo.

Pour le jeune homme de 33 ans, la mathématique derrière l'achat d'une copropriété ne fonctionne tout simplement pas à Vancouver.

«Quand je regarde le prix que je paierais pour acheter la même unité que je loue en ce moment, il y a une différence de plus de 1000$ par mois lorsqu'on additionne les taxes, les frais de condo, le financement par la SCHL, calcule-t-il. Si on prend ces 1000$ et qu'on les investit, même avec un rendement modeste, on en sort autrement plus gagnant.»

M. Ludvigsen, rencontré dans un café tranquille du centre-ville, paie 1200$ par mois pour louer un studio de 500 pieds carrés au 23e étage d'une tour du quartier West-End. Il a une pleine vue sur l'océan Pacifique et les montagnes Rocheuses. «Il y a un immeuble à condos qui se construit juste à côté, et une unité semblable à celle où j'habite se vend au moins 400 000$. Cela n'a aucun sens!»

Le Vancouvérois attend de voir jusqu'où ira la baisse des prix avant de penser à acheter son propre appartement. Peut-être.

La chute

Le coup de frein brutal du marché immobilier de Vancouver - et des autres grandes villes canadiennes, dans une moindre mesure - est survenu le 9 juillet dernier. Ce jour-là, une série de nouvelles règles édictées par le ministre des Finances Jim Flaherty sont entrées en vigueur pour calmer un marché canadien en pleine surchauffe. L'amortissement des prêts sur 30 ans a notamment été aboli, écartant d'un seul coup de nombreux premiers acheteurs incapables d'assumer des paiements étalés sur 25 ans.

Ottawa avait déjà serré la vis aux prêteurs à plusieurs reprises depuis 2010, sans trop d'effets. Cette fois, les mesures d'apaisement ont eu un impact immédiat.

Dès le mois d'août, les ventes ont chuté en flèche. En septembre, elles avaient reculé de 33% sur un an à Vancouver, de 23% à Toronto et de 18% à Montréal. Les bureaux des promoteurs de condos neufs sont tout à coup devenus beaucoup plus tranquilles.

Dans le quartier Yaletown, véritable forêt de tours à condos aux teintes turquoise, les représentants de trois bureaux des ventes se tournaient les pouces lors de notre passage, un mardi midi d'octobre. «L'été a été très lent, mais ça a été comme ça aussi pour tous les promoteurs», confie une jeune vendeuse en montrant les brochures d'un nouveau complexe.

Le resserrement des règles d'accueil des immigrants-investisseurs chinois a contribué à plomber encore plus la demande en Colombie-Britannique. Deux promoteurs à qui nous avons parlé indiquent que la demande immobilière en provenance d'Asie a baissé d'environ 30% ces derniers mois.

Jusqu'où ira la chute du marché de Vancouver? Comme toujours en immobilier, les avis divergent. Certains économistes s'attendent à une baisse des prix de 25%; d'autres, comme David LePoidevin, estiment que le déclin sera aussi lent et pénible qu'aux États-Unis. C'est-à-dire un plongeon d'au moins 36%, sans doute davantage.

«Ça prendra de quatre à cinq ans avant d'atteindre le fond du baril, prévoit-il. L'astuce, pour les investisseurs, sera de jauger le bon moment avant de replonger.»

Les promoteurs et courtiers, pour la plupart, maintiennent une façade optimiste malgré le recul évident du marché. Charan Sethi, président du Groupe Shien Tier, souligne avoir assisté à «trois ou quatre baisses» depuis qu'il a fondé sa société dans les années 80. Dans la salle de réunion de son bureau de Richmond, une riche banlieue de Vancouver, il nous montre les esquisses de ses nouveaux projets de condos sans trop faire de cas du fléchissement actuel.

«Je suis soucieux, mais pas inquiet outre mesure», avance l'homme de 60 ans.

Les prochains trimestres diront qui a raison ou tort.

En chiffres

3e VILLE EN IMPORTANCE AU CANADA

2,3 MILLIONS D'HABITANTS

53 900$ REVENU TOTAL MÉDIAN DES MÉNAGES*

Sources : Metro Vancouver, Statistique Canada

*Donnée de 2010, pour la région métropolitaine

-15% : baisse estimée des prix depuis le sommet du marché

2e Parmi les villes les plus inabordables au monde

731 000$ : Prix moyen des propriétés**

927 500$ : Prix moyen des maisons individuelles

Sources : ACI, REBGV, Demographia, FNB

** Donnée de septembre 2012

Un marché en dents de scie

C'est loin d'être la première fois que le marché de Vancouver connaît une chute brutale. En entrevue récente à La Presse Affaires, l'économiste Sal Guatieri, de BMO, a mis en lumière quatre dépressions immobilières survenues depuis 30 ans. Les prix ont reculé de 36,1% en 1981-1982; de 14,4% en 1990-1991; de 20,2% en 1995-1996 et de 13,1% en 2008-2009, a-t-il rappelé. En moyenne, les baisses des dernières décennies s'élèvent à 21%.

Des mesures sévères

Ottawa a imposé en juillet une série de mesures ciblées pour calmer le marché immobilier canadien:

> La période maximale d'amortissement des prêts hypothécaires est passée de 30 à 25 ans.

> La valeur maximale des propriétés pouvant faire l'objet d'une assurance-prêt hypothécaire a été limitée à 1 million.

> Le ratio maximal de remboursement brut du prêt hypothécaire a été ramené à 39 % des revenus d'un ménage.

> La limite de refinancement a été abaissée à 80 % de la valeur d'une propriété, plutôt que 85 %.

> Les «remises en argent» souvent offertes par les banques pour la mise de fonds ont été abolies.