En poste depuis 16 mois, « 497 jours », précise-t-elle, la présidente du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Vicky Eatrides, trace un bilan en demi-teinte. Si son organisme a multiplié les consultations publiques et implanté des mesures qui ont renforcé la concurrence dans le sans-fil, le constat est tout autre pour l’internet, alors que nombre de fournisseurs indépendants ont fermé ou ont été rachetés.

« Pour la concurrence dans les services internet, on n’a pas les résultats qu’on voulait, admet Mme Eatrides en entrevue dans ses bureaux de Gatineau. L’approche qu’on a prise ne marchait pas. On n’a pas vu la concurrence, il y a plein d’entreprises indépendantes qui ont disparu. »

On estime qu’entre 2021 et 2023, les fournisseurs internet indépendants ont perdu 47 % de leurs abonnés au Québec et en Ontario.

Une décision temporaire du CRTC a été annoncée en novembre dernier forçant les grandes entreprises comme Bell et Telus à donner l’accès à la fibre optique à leurs concurrents jusqu’au domicile des abonnés. En février dernier, l’organisme fédéral a tenu une semaine d’audiences publiques sur la concurrence dans les services internet où on a admis que la concurrence avait diminué.

« Une décision finale sur la concurrence internet s’en vient dans les prochains mois », promet Mme Eatrides.

Refaire ses devoirs

Traditionnellement, le président du CRTC doit naviguer entre deux tendances, selon les directives du gouvernement en place. En 2006, Maxime Bernier, alors ministre de l’Industrie au sein du gouvernement Harper, avait donné comme instruction « de s’en remettre davantage aux forces du marché ». En 2019, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, avait clairement insisté sur le fait que le CRTC devait tenir compte de « la concurrence, de l’abordabilité, des intérêts des consommateurs » dans ses décisions.

La nouvelle présidente du CRTC semble taillée sur mesure pour cette dernière mission. Avocate de formation, originaire d’Ottawa et parfaitement bilingue – l’entrevue s’est déroulée en français –, elle a travaillé au sein du Bureau de la concurrence pendant 14 ans puis est devenue en 2019 sous-ministre adjointe à Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Cette année-là, le CRTC a diminué de façon très importante, jusqu’à 90 %, les tarifs que devaient payer les petits fournisseurs comme EBOX, Distributel et TekSavvy. En mai 2021, dans une décision très controversée, le CRTC présidé par Ian Scott avait annulé cette baisse, une décision que Mme Eatrides avait promis de réviser dès sa nomination en janvier 2023.

Pourtant, entre la concurrence et les investissements, la présidente du CRTC refuse d’afficher catégoriquement son camp.

« Plus de concurrence ou plus d’investissements ? Les deux sont vraiment importants. Est-il possible de trouver un équilibre, un juste milieu ? Je dirais que oui. »

Elle nuance d’abord un fait : les profits pour lesquels on espère des investissements sont également au bénéfice des consommateurs. « Il ne s’agit pas que d’avoir de la concurrence, comme les options, des prix plus bas. On veut des réseaux qui sont de haute qualité. Puis ça, ça prend de l’investissement. »

13 audiences publiques

La présidente estime que l’exemple des services sans fil montre qu’il est possible de jouer sur les deux tableaux. En 2021, le CRTC avait obligé les grands fournisseurs comme Bell, Rogers, Telus et SaskTel à donner accès à leurs tours cellulaires aux exploitants de réseaux mobiles virtuels (ERMV). En mai dernier, sous l’égide de Mme Eatrides, on a finalisé les règles de cet accès, donnant 90 jours aux grandes entreprises pour négocier des ententes. Les ERMV, eux, ont sept ans pour construire leur propre réseau.

Selon Statistique Canada, le prix des services de téléphonie cellulaire a baissé de 39 % entre janvier 2021 et avril 2024.

« On voit plus de choix maintenant dans le marché, des prix plus bas, note Mme Eatrides. Les entreprises régionales doivent bâtir leur réseau en sept ans. Je pense qu’on essaie toujours de trouver le bon équilibre. »

La présidente le note, les nombreuses décisions d’un tribunal administratif comme le CRTC sont souvent complexes et peu comprises par le commun des mortels. « C’est au moins 400 décisions, ordonnances et avis chaque année. […] On veut vraiment mieux expliquer aux Canadiens ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Alors, je pense qu’on a fait du progrès, et ça, ça continue. »

Elle promet une « organisation plus ouverte », rappelant l’importance des audiences publiques. Le CRTC en a tenu 13 jusqu’à maintenant sous son mandat. « On consulte et on base nos décisions sur le dossier public. C’est très important d’avoir toutes les perspectives. »