C’est un produit en constant déclin, pourtant, le prix du papier journal ne fait que grimper depuis l’automne 2020. Des grands quotidiens comme le New York Times aux hebdomadaires locaux, personne n’échappe à cette poussée qui accentue la pression et qui ne semble pas sur le point de s’essouffler.

Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, qui viennent de tirer un trait sur l’édition papier dominicale, ne se sont pas avancés sur la question, mais d’autres éditeurs l’ont fait : il est de plus en plus coûteux d’imprimer et de distribuer un journal. Cela a pesé dans la balance quand le quotidien anglophone Montreal Gazette – propriété de Postmedia – a mis fin à son édition papier du lundi, en vigueur depuis le 17 octobre dernier.

« Il y en a qui vont réduire le format [de leur journal] ou diminuer le nombre de copies, ajoute Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec, qui regroupe 75 journaux régionaux. On essaie d’absorber la hausse. »

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Benoit Chartier, président du conseil d’administration d’Hebdos Québec

L’homme d’affaires, qui est aussi président-directeur général de DBC Communications, propriétaire entre autres de cinq hebdomadaires, dont Le Courrier de Saint-Hyacinthe, souhaite hausser certains tarifs publicitaires pour encaisser le coup. Reste à voir si cela sera suffisant.

Après avoir oscillé aux alentours de 605 $ US la tonne dans les derniers mois de 2020, le prix du papier journal est sur une lancée. La tonne se négociait à environ 920 $ US l’automne dernier. Pourtant, la consommation est en déclin constant depuis au moins une décennie. Uniquement en Amérique du Nord, les volumes se sont contractés de 70 % entre 2010 et 2021, selon l’agence Statista. Cette année, la baisse devrait être de 11 %, selon Produits forestiers Résolu.

Qu’est-ce qui explique cette dynamique ? Le marché est contrôlé par une poignée d’acteurs. Au Canada, il s’agit de Résolu – achetée par Paper Excellence –, White Birch et Kruger. Il y a donc peu de capacité excédentaire, explique Michel Vincent, économiste du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ).

« Ce n’est pas une structure de concurrence parfaite, dit-il. Avec un produit en déclin et une structure oligopolistique, les producteurs sont capables d’équilibrer l’offre et la demande. Cela maintient les prix à des niveaux stables. Les acheteurs ne peuvent pas, du jour au lendemain, se passer du papier. On absorbe donc la hausse. »

Depuis 2019, c’est l’équivalent de 5,4 millions de tonnes de capacité qui sont disparues à travers le monde, affirme Résolu. L’entreprise anticipe un recul d’un autre million de tonnes d’ici 2025. Les marchés d’exportation devraient donc demeurer « robustes », croit l’entreprise.

Les producteurs doivent faire attention de ne pas être trop gourmands, souligne M. Vincent. Si les éditeurs de journaux et les autres acheteurs souffrent trop, la diminution de la demande s’accélérera et d’autres machines à papier se retrouveront à l’arrêt.

Plus cher

Les dernières augmentations remontent à l’été, selon PPI Pulp & Paper Week. Il y en a eu une première (25 $ la tonne) en août dernier, puis une autre (25 $) le 1er septembre dernier. Néanmoins, les acheteurs ne sont pas au bout de leurs peines. La publication spécialisée avance que White Birch exigera 100 $ de plus la tonne à compter du 1er janvier prochain.

De plus, d’après le Globe and Mail, le nouveau propriétaire de Résolu souhaite augmenter ses prix d’au moins 30 % auprès de ses clients comme TC Transcontinental, qui imprime bon nombre de quotidiens et de journaux hebdomadaires.

L’entreprise québécoise n’a pas répondu aux questions de La Presse à ce sujet. Toutefois, en commentant les résultats du quatrième trimestre, le 13 décembre dernier, Peter Brues, président et chef de la direction de Transcontinental, soulignait que l’augmentation des prix exerçait une « pression » sur les éditeurs de journaux.

À l’instar de Québecor, Le Devoir n’a pas voulu commenter l’impact des augmentations des prix du papier. Propriétaire de 22 titres, dont le Journal Métro, Métro Média a indiqué, dans une déclaration, que « la hausse du prix du papier contribue à une accélération du virage numérique », en ajoutant que les coûts de distribution et l’« appétit des lecteurs pour de nouveaux formats » faisaient aussi partie de l’équation. Toutes ces publications offrent également des contenus numériques.

Les questions envoyées au New York Times par La Presse sont également demeurées sans réponse. Les rapports trimestriels du groupe coté en Bourse offrent quelques indices. Pour les neuf premiers mois de l’exercice ayant pris fin le 25 septembre dernier, l’augmentation des coûts de production et de distribution s’est chiffrée à 10,5 millions.

« L’augmentation […] s’explique en grande partie par une hausse du prix du papier journal et des coûts de carburant », précise le groupe new-yorkais dans ses rapports.

Au sein des six quotidiens régionaux membres de la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2I), l’empreinte imprimée se limite à une édition le samedi depuis le printemps 2020. Cela devrait permettre au groupe qui comprend Le Soleil, Le Droit, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Quotidien et La Voix de l’Est de maintenir le statu quo.

« Les variations des prix du papier journal n’ont pas d’incidence sur notre réflexion, dit le directeur général de la coopérative, Stéphane Lavallée. C’est un poids beaucoup moins grand. On en aura une en 2023, mais ça ne sera pas déterminant dans notre modèle d’affaires. »

À moyen terme, les adeptes de l’édition hebdomadaire papier n’ont rien à craindre, selon M. Lavallée.

En savoir plus
  • 19,3 millions
    C’est la moyenne hebdomadaire d’exemplaires en circulation des quotidiens payants et gratuits au Canada.
    source : Médias d’info canada
    74
    Nombre de quotidiens au pays en 2021
    source : MÉDIAS D’INFO CANADA