Chaque samedi, un de nos journalistes répond, en compagnie d’experts, à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

Bonjour. De ce que je comprends, les bas taux d’intérêt et la détente monétaire des banques centrales ont nourri la hausse des marchés boursiers et de l’immobilier. Les taux d’intérêt remontent. Qu’en est-il de la détente monétaire ? Quel est l’effet du resserrement monétaire sur la baisse des marchés ?

Gaël Le Corre-Laliberté

« La réponse est oui, le resserrement monétaire va avoir des effets sur les marchés financiers », soutient Olivier Rancourt, économiste à l’Institut économique de Montréal à qui on a demandé de répondre à la question de notre lecteur.

Essentiellement, le resserrement monétaire va provoquer les effets inverses de ceux qui ont été créés par l’assouplissement monétaire, prévient M. Rancourt.

Petit retour en arrière : pendant la pandémie, la Réserve fédérale et la Banque du Canada ont réduit au plancher leurs taux directeurs et elles ont acheté des quantités phénoménales d’obligations gouvernementales dans le but d’inonder les marchés financiers de liquidités et de maintenir les taux d’intérêt de long terme le plus bas possible.

« Un pompier n’a jamais été critiqué pour avoir utilisé trop d’eau », s’était justifié au printemps 2020 Stephen Poloz, alors gouverneur de la Banque du Canada.

Les banquiers ont donné le nom d’assouplissement quantitatif aux achats massifs d’obligations gouvernementales, une mesure dont s’était déjà servie la Fed lors de la récession financière de 2008-2010.

Une façon plus directe d’expliquer l’assouplissement quantitatif est de dire que les banques centrales contrôlent le niveau des taux d’intérêt de long terme en imprimant de l’argent à partir de rien et en l’utilisant pour acheter la dette des gouvernements.

La stratégie fut un succès puisque l’économie ne s’est pas effondrée pendant la pandémie, malgré le confinement.

La médaille a toutefois son revers. Le bilan des banques centrales s’est alourdi de façon dramatique avec toutes les obligations qu’elles ont dû acheter. Certains soutiennent aussi que la stratégie de la planche à billets a alimenté une reprise de l’inflation comme on n’en avait pas vu depuis au moins 30 ans.

Il y a eu d’autres effets, note la firme Incrementum AG dans un récent rapport intitulé Stagflation 2.0. Les multiples boursiers se sont envolés avec tout cet afflux d’argent qui s’est mis à pourchasser un nombre limité d’occasions d’investissement. Les investisseurs ont pris goût au risque. Les rendements des obligations de toutes catégories ont baissé, y compris les obligations d’entreprise et les titres de pacotille. Au Canada, le prix des maisons s’est envolé.

Le vent a tourné

Aujourd’hui, le vent a tourné. L’inflation est devenue l’ennemi numéro un. Les banques centrales se sont remises à hausser leurs taux directeurs. Elles ont aussi commencé, ou le feront incessamment, à revendre des obligations sur le marché ou tout simplement à se faire rembourser à l’échéance des titres sans en racheter de nouveaux. Ce faisant, elles vont retirer de l’argent de l’économie, d’où l’expression « resserrement quantitatif ».

Les banques commerciales réagiront, explique M. Rancourt, en allant chercher les liquidités ailleurs, avec l’augmentation des taux d’intérêt sur les dépôts.

« Si la Banque du Canada achète moins d’obligations, il y a une certaine pression à la hausse sur les taux d’intérêt d’obligations à long terme de 5 à 10 ans, renchérit Jean-François Rouillard, professeur au département d’économique de l’Université de Sherbrooke. Habituellement, quand les taux d’intérêt augmentent, ça signale un ralentissement économique à venir possiblement. »

Avec la hausse du loyer de l’argent, le coût de financement des entreprises va nécessairement augmenter, ce qui exercera de la pression sur leurs marges bénéficiaires, ajoute l’universitaire. Le marché immobilier en subira également des contrecoups. « Les marchés boursiers et immobiliers évoluent de pair au fil des cycles sans que ce soit une corrélation positive parfaite », fait-il savoir.

Pour reprendre l’idée de M. Rancourt que le resserrement quantitatif provoque les effets contraires à ceux causés par l’assouplissement qualitatif, il faut donc s’attendre à partir de maintenant à une contraction des multiples cours-bénéfice des actions, à une remontée des taux obligataires et à une plus grande aversion au risque de la part des investisseurs.

On l’a vu depuis le printemps avec la dégringolade spectaculaire du bitcoin, actif risqué, et l’attrait du dollar américain, actif considéré comme étant plus sûr. Le billet vert s’est fortement apprécié par rapport à un panier de devises.

« Les gens ayant une forte aversion au risque vont maintenant préférer mettre leur argent, par exemple, dans des dépôts à terme ou des titres de revenus fixes [donnant un rendement de 2, 3 ou 4 %], dit M. Rancourt. En conséquence, il y aura une baisse des prix sur les marchés financiers comme les actions. »

Avant le resserrement de la politique monétaire, cette solution de remplacement n’existait pas, fait valoir l’économiste. À peu près tout le monde devait se rabattre sur la Bourse pour avoir du rendement, ce qui a contribué à sa cherté.

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