En temps de crise, les bonnes intentions prennent souvent le bord. C’est ce qui est arrivé en Inde, deuxième producteur de blé au monde, qui a décidé d’interdire les exportations de cette céréale vitale pour de nombreuses populations.

Le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, s’était pourtant engagé en mai dernier à fournir du blé aux pays approvisionnés par l’Ukraine et la Russie avant la guerre.

Mais voilà, il a changé d’idée, en raison d’une sécheresse aiguë qui menace de réduire la production prévue et de compromettre la sécurité alimentaire des 1,2 milliard d’Indiens.

Avant l’Inde, l’Indonésie, premier producteur mondial d’huile de palme, avait décidé de garder son huile pour elle. Le président du pays, Joko Widodo, cité dans les médias, a expliqué que sa priorité était d’assurer l’approvisionnement de sa population et de faire baisser les prix de l’huile.

Plusieurs autres pays, dont l’Argentine et la Hongrie, ont décidé récemment d’interdire les exportations de leurs produits de base, de les plafonner ou de les limiter.

Ce genre de décision de la part des gouvernements qui veulent assurer le bien-être de leur population a pour effet d’aggraver les hausses de prix dans les pays qui doivent s’approvisionner sur le marché international.

Le prix de l’huile de palme et de tous les oléagineux de substitution a explosé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le blé, le maïs et les autres céréales coûtent aussi plus cher parce que l’approvisionnement est limité.

Selon l’International Food Policy Research Institute, qui suit l’évolution de la production alimentaire dans le monde, le nombre de pays qui ont restreint leurs exportations de nourriture est passé de 3 à 16 depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février.

Ce nombre augmentera, craint l’organisation, parce que le conflit en Ukraine ne montre aucun signe d’apaisement.

L’effet domino

Ce retour au chacun pour soi, qui s’observe à chaque crise, a souvent un effet domino, et d’autres pays sont incités à faire la même chose. Les produits alimentaires ne sont pas les seuls à être touchés par les restrictions à l’exportation.

Même avant l’invasion de l’Ukraine, la Chine avait restreint ses exportations d’engrais pour assurer l’approvisionnement de son marché local.

Si les perturbations du marché se prolongent, d’autres produits pourraient être visés. La tentation du protectionnisme est forte quand les prix d’un produit flambent et que sa disponibilité diminue. Ici même au Québec, quand le bois traité a atteint des sommets historiques pendant la pandémie, il s’en trouvait pour réclamer qu’on garde notre bois chez nous plutôt que l’exporter sur le marché américain.

Aux États-Unis, des voix s’élèvent déjà pour critiquer l’augmentation des exportations de gaz naturel liquide vers l’Europe. Des démocrates, Elizabeth Warren en tête, critiquent l’incidence des exportations de GNL sur le portefeuille des Américains. Des entreprises sont aussi inquiètes de la flambée des prix d’un de leurs intrants les plus importants.

En quelques années seulement, soit depuis 2015, les exportations de GNL américain sont passées de 0 à 360 milliards de pieds cubes, relève l’analyste de la Banque Nationale Angelo Katsora. Actuellement, 75 % de ces exportations sont destinées à l’Europe, qui tente de s’affranchir du gaz russe.

Le gaz naturel était il n’y a pas si longtemps un marché régional. Il voyage maintenant plus facilement d’un continent à l’autre sous forme de GNL, et son prix tend à suivre l’offre et la demande mondiales. C’est là que ça fait mal aux Américains, habitués au gaz naturel bon marché. Le prix, qui se maintenait depuis 10 ans autour de 3 $ US le million de BTU, a triplé depuis l’invasion de l’Ukraine et l’augmentation de la demande européenne pour le GNL américain.

Le gaz naturel est utilisé pour produire de l’électricité, et l’augmentation de son prix a un effet direct sur la facture d’électricité des ménages américains.

C’est un problème de plus pour l’administration Biden, qui fait face à des élections de mi-mandat et qui s’est engagée à aider l’Europe à se défaire de l’emprise du gaz russe.

Il n’est pas question pour le moment pour les États-Unis de limiter leurs exportations de gaz naturel vers l’Europe, mais on peut gager que les arguments des protectionnistes, aux États-Unis ou ailleurs, se feront de plus en plus entendre au cours des prochains mois.

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    Hausse du prix du blé depuis un an
    Source : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture