Chacun de nous compose avec la hausse du coût de la vie à sa manière. Rénovations reportées, voyage allégé, panier d’épicerie surveillé, sorties annulées, endettement amplifié, il n’y a pas 36 solutions. Il faut faire des choix désagréables, parfois difficiles.
Un dossier de Marie-Eve Fournier

Moins de sorties, fini le ski

INFOGRAPHIE JULIEN CHUNG, LA PRESSE

« L’inflation détruit petit à petit nos vies », m’a écrit Francis.

Avec le bon salaire que lui procure son travail d’infirmier, il n’aurait jamais pensé être si serré un jour. Mais le destin nous joue parfois des tours.

Père d’un garçon de 11 ans, il s’est séparé quelques mois après le début de la pandémie. En soi, cet évènement allait à coup sûr ébranler considérablement son budget.

Pour mal faire, l’inflation s’est aussi mise de la partie. Notamment en ce qui concerne l’immobilier.

Puisque son ex-conjointe a gardé la maison, Francis s’est retrouvé avec son fils en garde partagée dans un appartement qui lui coûtait 1700 $ par mois. C’était beaucoup trop pour économiser en vue de l’achat d’une autre propriété en pleine flambée des prix !

Au premier trimestre de 2022, le prix médian des unifamiliales dans la région métropolitaine de Montréal a bondi de 20 % pour atteindre 555 000 $. Les condos ont suivi la même courbe. Leur prix médian frôle désormais les 400 000 $.

À 40 ans, Francis est donc retourné vivre chez ses parents, sur la Rive-Sud.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Francis vivait bien à une certaine époque, raconte-t-il, mais doit maintenant tout calculer malgré un bon salaire d'infirmier.

« J’ai ramassé assez d’argent pour faire une mise de fonds sans devoir payer l’assurance de la SCHL », précise celui qui prend possession de son achat à Varennes ces jours-ci.

Cette maison était « hors de prix » – 430 000 $ –, mais l’hypothèque sera moindre que son ancien loyer, se console-t-il. « Je voulais mettre 300 000 $. J’ai finalement réalisé qu’à ce prix-là, j’aurais un condo, et encore. »

Pour alléger le prix de son réaménagement, il a réussi à faire inclure les électroménagers et certains meubles dans le prix de vente. D’autres meubles ont été achetés d’occasion, ce que Francis n’avait encore jamais fait.

Le père me raconte que l’inflation touche tous les aspects de sa vie.

Les sorties avec son garçon ont écopé. Fini, le ski alpin. « Je ne suis pas allé cet hiver… à 85 ou 90 $ pour deux heures… » Le père célibataire aimait beaucoup emmener son fils au Biodôme, une sortie payante qu’il remplace par des activités gratuites.

Quand je regarde mes finances, je me dis qu’on va aller au parc avec des collations. On va plus souvent dehors qu’avant. Au lieu d’aller au cinéma, on va marcher sur le bord de l’eau. J’ai un bon salaire, je devrais pouvoir me payer des sorties !

Francis

Francis sabre aussi les repas au restaurant, les commandes Uber Eats et les soirées dans un bar à prendre un verre avec des amis. Ces changements d’habitude « ont un gros impact » sur sa qualité de vie, déplore-t-il, même s’il voit d’un très bon œil l’idée de consommer moins.

Il évoque aussi la fin des produits Apple dans sa vie, devenus inabordables. Par principe, il refuse de vivre à crédit, même si ce serait une solution facile.

« Je ne veux pas m’endetter. C’est dans mes valeurs. »

Dans son contrat de travail, Francis est obligé d’avoir une voiture pour visiter plusieurs hôpitaux. Il se promène avec une hybride et fait tout son possible pour n’utiliser que la batterie, vu le prix de l’essence « incroyablement haut ». Il réussit à ne faire un plein que tous les « deux ou trois mois ».

« Je vivais bien à une certaine époque, mais maintenant, je calcule », conclut-il avec un certain découragement.

Le défi des 140 $ avec les enfants

INFOGRAPHIE JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Championne dans la gestion de ses finances, Julie réussit à faire des miracles avec chacune de ses paies.

Même si son salaire est inférieur à la moyenne québécoise, et qu’elle élève seule deux adolescents de 12 et 14 ans, elle réussit à verser un peu d’argent chaque semaine dans un REEE, dans son REER et dans son CELI. Elle paie même l’école privée à sa plus vieille, possède une maison et une voiture récente dont le paiement mensuel frôle les 500 $. « Oui, je réussis à faire tout ça. Je suis pas pire ! », ricane-t-elle, au bout du fil.

Mais vous aurez compris que chaque dollar est compté. Et Julie sait compter. Le superflu et le luxe n’ont pas leur place dans sa vie.

Les voyages se font en auto, au Québec. « On fait du camping, en tente. Cette année, ça va être plus difficile. On va sélectionner des activités pas trop chères ou gratuites. On va peut-être aller moins loin que d’habitude vu que l’essence coûte cher. »

Celle qui occupe un emploi manuel dans une imprimerie raconte qu’elle a l’avantage de s’intéresser « beaucoup aux finances ». Elle a lu les livres de Pierre-Yves McSween, elle cherche des conseils sur le web et consulte un expert à sa banque.

« Je suis économe. Mais être économe, c’est accepter de se faire juger, déplore-t-elle, tout en assumant que ses enfants soient sa priorité absolue. Leurs besoins (école, orthodontie, cours de natation) passent bien avant l’esthétisme des meubles ou de son terrain. « Moi, je mise sur mes enfants. »

Comme tout le monde, Julie est frappée par la hausse du prix de l’épicerie qui s’accélère depuis des mois. En mars, le panier a bondi de 8,7 %, du jamais vu depuis mars 2009. L’essence pèse aussi sur les finances de la Granbyenne.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Julie épluche les circulaires et se fait une liste très précise de tout ce qu'elle va acheter à l'épicerie, avec un budget maximal de 140 $ par semaine.

La mère célibataire a donc refait son budget et désormais, elle dispose hebdomadairement de 140 $ pour nourrir sa famille.

Julie a ensuite inventé un genre de jeu qui prend la forme d’un défi.

L’objectif : faire toute l’épicerie de la semaine avec 140 $.

J’implique les enfants. Chacun notre tour, on regarde les circulaires et on fait la liste. Ils aiment ça, car ça leur apprend combien ça coûte.

Julie

« Mon fils est économe, ajoute-t-elle. Il a déjà réussi à faire une épicerie avec 100 $, une économie de 40 $ ! Ma fille est plus difficile. Elle voudrait certaines choses, mais elle comprend qu’elle devra couper ailleurs », me raconte Julie avec enthousiasme.

Avant de partir à l’épicerie, donc, une liste précise est rédigée à partir des meilleurs soldes affichés dans les circulaires de divers détaillants. Les courses se font chez Maxi où on accorde les rabais des concurrents. Les recettes pour chacun des jours sont évidemment prédéterminées.

Les enfants sont prévenus qu’il doit y avoir assez de nourriture sur la liste pour nourrir tout le monde, toute la semaine, et qu’on « ne retournera pas à l’épicerie » s’il manque quelque chose. Même si la viande coûte plus cher, la famille en consomme encore. Mais les légumineuses sont un peu plus fréquentes au menu.

« Si ma fille met des chips sur la liste, je ne suis pas contente, mais c’est ça, le deal. J’accepte les conséquences. Je fais cela depuis deux mois et mon seul regret est de ne pas avoir commencé avant ! », conclut Julie.

Budget doublé pour une voiture d’occasion

INFOGRAPHIE JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Myriam se promène en Matrix 2006. Un fidèle bolide qui, malgré son âge vénérable, démarre « à tous les coups », même l’hiver.

Mais l’automne dernier, c’est devenu évident que la voiture dont le devant « tient avec des tie wrap et du duct tape » était en fin de vie. « Ça sentait le gaz, fallait ouvrir les fenêtres en roulant », se remémore la mère de deux enfants de 10 et 12 ans.

Photographe à son compte, Myriam a besoin d’un véhicule pour travailler. Elle s’est donc mise à parcourir une foule de sites pour trouver au plus vite le successeur de sa Matrix. Budget de la famille : 12 000 $.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Myriam avec sa Matrix 2006 qui est sur le point de rendre l’âme.

Ça fait cinq mois que je cherche jour et nuit. On vise une auto de trois ou quatre ans, mais ça ne marche pas du tout ! À ce prix-là, tu as un bazou ! J’ai passé tellement de temps en ligne, sur tellement de sites…

Myriam

On le sait, la pénurie de véhicules neufs et les longs délais de livraison ont enflammé le marché de l’occasion.

Le plus récent indice des prix de la plateforme de vente AutoHebdo a démontré qu’en décembre dernier, le prix moyen d’un véhicule d’occasion avait augmenté de 34,5 % par rapport à décembre 2020, pour atteindre 33 240 $. C’était le prix moyen le plus élevé jamais atteint au Canada pour un véhicule d’occasion.

Au Québec, l’augmentation fut encore plus élevée : 35,4 %. Le prix moyen de 29 434 $ demeure tout de même sous la moyenne nationale.

« Tous les véhicules d’occasion ont connu une augmentation de prix à deux chiffres d’une année à l’autre, allant de 24,6 % pour les véhicules européens à 45,1 % pour les véhicules nord-américains », précisait le rapport paru en février.

En comparaison, le prix moyen des véhicules neufs vendus au Canada l’an dernier a été de 42 500 $, une hausse de 15 % par rapport à 2020, selon un rapport de Desjardins citant une compilation de J. D. Power.

Mais si l’on regarde uniquement le mois de décembre 2021, le prix moyen des véhicules neufs au Canada s’est établi à 50 758 $ (+ 13 %), selon AutoHebdo. C’était la première fois que la barre des 50 000 $ était franchie.

Au bout du compte, Myriam et son conjoint ont décidé d’acheter un Toyota RAV4 hybride d’un ami de la famille. Ils en prendront possession dans les prochaines semaines, non sans devoir débourser le double du budget prévu. Le véhicule est aussi plus gros que souhaité, mais c’est le meilleur compromis qu’ils ont trouvé en fonction de leurs critères, notamment environnementaux. La facture sera payée avec la marge hypothécaire, qui devra aussi être utilisée pour faire changer rapidement l’escalier principal de leur triplex, une priorité puisqu’il est dangereux.

Évidemment, Myriam voit venir les inévitables hausses de taux hypothécaire avec un stress certain. Surtout que d’autres travaux majeurs à sa propriété devront être effectués assez rapidement, comme le toit et les fenêtres. Deux gros morceaux, il faut le dire.

Dans l’intervalle, le prix de l’essence est devenu une préoccupation nouvelle pour la famille puisqu’elle partira pendant un mois en road trip dans l’Ouest canadien à bord d’un véhicule récréatif loué. Un rêve prévu depuis longtemps.

« On va le faire pareil, mais en serrant les dents, parce qu’au moment de réserver tout ça, il n’était pas encore question d’essence à 2 $ le litre pour un camper qui consomme 20 L aux 100 km », dit Myriam, tout en étant consciente que d’autres familles sont immensément plus serrées financièrement.

« Ça va tellement nous coûter cher… mais c’est la seule dépense qui va nous faire un beau souvenir. »