L’encre rouge indélébile

Ottawa prévoit un déficit de 52,8 milliards cette année. Si ce manque à gagner n’a rien à voir avec l’ampleur des déficits enregistrés depuis le début de la pandémie – 328 milliards en 2020-2021 et 114 milliards en 2021-2022 – il n’en reste pas moins que le retour à l’équilibre budgétaire n’est pas à l’horizon.

Les déficits continueront de s’accumuler, mais ils devraient progressivement diminuer pour s’établir à 8,4 milliards dans cinq ans. Conséquence : la dette fédérale continuera de s’alourdir.

Pour l’exercice en cours, le trou dans les finances publiques devrait représenter 2 % du produit intérieur brut (PIB) réel – ajusté à l’inflation. La dette fédérale représentera 45 % du PIB. Malgré l’accumulation des déficits, cet indicateur qui mesure la santé des finances publiques devrait continuer à s’améliorer au cours des prochaines années.

Multiplier les nouvelles maisons

L’accès à la propriété se complexifie avec la flambée des prix de l’immobilier à travers le pays et le budget de la ministre des Finances Chrystia Freeland prévoit plus de 9 milliards dans l’espoir d’atténuer la « pénurie de logements » qui sévit.

Au moins 3,5 millions de nouvelles unités sont nécessaires d’ici 2031 pour remédier à la situation. Ottawa mettra notamment sur pied un fonds pour accélérer la construction de logements, toutes catégories confondues, une mesure qui coûtera 4 milliards. Le créneau des logements sociaux recevra aussi 1,5 milliard en deux ans pour bonifier l’offre. L’enveloppe budgétaire financera aussi des mesures pour faciliter l’achat d’une première propriété.

De plus, dans l’espoir de freiner la spéculation immobilière, le gouvernement Trudeau décrète un moratoire de deux ans pour interdire l’investissement étranger dans le marché immobilier canadien. Il n’écarte pas la possibilité d’aller plus loin au besoin.

Un dentiste pour tous

On ignore encore comment, mais 5,3 milliards sur cinq ans serviront à offrir une assurance dentaire aux moins de 12 ans cette année; le programme sera ensuite progressivement élargi aux familles ayant un revenu annuel inférieur à 90 000 $.

Cet engagement, une condition du Nouveau Parti démocratique afin de permettre aux libéraux de Justin Trudeau de gouverner comme s’ils étaient majoritaires, devrait coûter annuellement 1,7 milliard à terme.

Un bouquet de services pour les moins de 10 ans est déjà couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). On ignore encore si la province optera pour son droit de retrait en échange d’une compensation financière. Les fonctionnaires fédéraux n’étaient pas en mesure, jeudi, d’expliquer comment se déclinera le programme fédéral. Des annonces sont à venir.

L’ombre de Poutine

Le contexte géopolitique a changé du jour au lendemain lorsque le président russe Vladimir Poutine a décidé de lancer une offensive militaire contre l’Ukraine le 24 février dernier. Ottawa allouera ainsi 8,1 milliards de plus d’ici 2026-2027 pour « renforcer » les Forces armées canadiennes.

En 2026-2027, le Canada consacrera 1,5 % de son PIB au secteur de la défense, comparativement à 1,36 actuellement. Cet effort ne permettra pas au pays de respecter le critère de 2 % fixé par l’OTAN. Depuis des années, le Canada se fait reprocher d’être à la traîne à ce chapitre. Pour atteindre la cible de l’OTAN, il aurait fallu hausser annuellement d’environ 15 milliards le budget de la Défense nationale.

Le budget Freeland prévoit également 940 millions sur cinq ans, dont 690 millions dès cette année, pour soutenir l’Ukraine, qui tente toujours de résister aux offensives de la Russie.

Une taxe bancaire de relance

La pandémie a permis aux institutions financières de faire des affaires d’or et le gouvernement Trudeau a décidé que le temps était venu pour celles-ci de partager. On a néanmoins décidé de couper la poire en deux.

Un « dividende de relance » permettra au gouvernement fédéral de récolter environ 4 milliards sur cinq ans. Il prendra la forme d’un « impôt ponctuel » sur le revenu qui sera étalé en cinq versements égaux annuels. Ottawa justifie cette mesure par ces importantes mesures d’aide pandémiques ayant permis de « réduire les risques de certaines des plus grandes » banques.

Par ailleurs, les compagnies d’assurance vie et les banques verront leur taux d’imposition augmenter de 1,5 point de pourcentage, ce qui permettra de récolter 2 milliards sur cinq ans. Cette mesure ne va toutefois pas aussi loin que les 3 points de pourcentage évoqués par Justin Trudeau lors de la dernière campagne électorale. La promesse avait été critiquée par le secteur bancaire canadien, qui considérait que cela revenait à taxer leurs actionnaires.

Solutions pour pollueurs

Les pollueurs industriels comme les cimentiers ainsi que les entreprises sidérurgiques auront accès à des crédits d’impôt de 2,6 milliards pour déployer des moyens de capter et de stocker le carbone pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Selon les fonctionnaires fédéraux, le coût prohibitif de ces technologies freine leur adoption. Le gouvernement Trudeau propose ainsi trois taux de crédits d’impôt aux grands industriels pour implanter ces outils.

D’ici 2030, le crédit d’impôt devrait permettre de retirer annuellement 15 mégatonnes de CO2 découlant de l’utilisation de carburants et des différents procédés industriels. À titre comparatif, le Québec émet 80 mégatonnes de CO2 par année.

D’après le budget, la mesure fiscale sera offerte jusqu’en 2040. Son coût annuel est estimé à 1,5 milliard à compter de 2026-2027.

Des bornes et des mines

En plus des subventions pour l’achat de véhicules électriques, le budget met de côté 400 millions pour ajouter des bornes de recharge dans les endroits plus éloignés. Ottawa estime que la responsabilité de « bâtir l’infrastructure sur laquelle les conducteurs peuvent se fier » lui revient.

La Banque de l’infrastructure mettra aussi la main à la pâte avec un effort d’un demi-milliard de dollars pour améliorer « l’infrastructure de recharge et de ravitaillement ».

Des minéraux critiques comme le lithium, le nickel et le cobalt sont essentiels dans la fabrication d’appareils électroniques et de batteries lithium-ion pour les véhicules électriques. La stratégie fédérale prévoit 1,7 milliard pour stimuler les projets dans ces secteurs. Le Québec dispose déjà de sa propre stratégie.

Accélérer la réconciliation

Le budget Freeland prévoit également de nouveaux investissements d’environ 11 milliards sur six ans, dont 2,5 milliards cette année. Environ la moitié de l’enveloppe est destinée à un bouquet de mesures pour accélérer l’accès aux services pour les enfants des Premières Nations. L’autre moitié est destinée aux communautés autochtones.