Pour la plupart d’entre nous, le sand dollar est ce coquillage en forme de petit disque trouvé sur la plage et ramassé comme souvenir de vacances. Mais pour la population des Bahamas, c’est beaucoup plus que ça.

Le Sand Dollar est la version numérique du dollar des Bahamas qui a cours légal depuis le 20 octobre 2020. C’est la première monnaie numérique émise par une banque centrale dans le monde. Le petit État des Caraïbes a ainsi doublé la Chine, qui travaille fort sur sa version du yuan numérique, qu’elle voudrait mettre en circulation à temps pour les Jeux olympiques de Pékin en 2022.

En Chine et dans plusieurs autres pays, dont la Suède et la Russie, des projets-pilotes sont en cours pour préparer ce qui est appelé à remplacer la monnaie de papier et de métal.

La première des Bahamas n’est pas un haut fait d’armes. Le gouverneur de la banque centrale du pays est le premier à le reconnaître. L’archipel est mal desservi par les banques et le système financier traditionnel, a expliqué à Bloomberg John Rolle, qui dirige la banque centrale des Bahamas depuis 2016.

Un peu comme les populations sans réseau téléphonique filaire sont passées directement au cellulaire, les Bahamas ont pu profiter de l’évolution de la technologie pour sauter des étapes dans la modernisation de leur système de paiement, selon M. Rolle.

On ne parle pas non plus d’un défi comparable à celui auquel fait face la Chine. Les Bahamas sont un petit pays de 380 000 habitants, pas la deuxième économie au monde avec une population de 1,4 milliard de personnes. Le fait que le dollar des Bahamas soit arrimé au dollar américain a aussi facilité l’avènement de la monnaie numérique dans l’archipel.

Les transactions électroniques se sont généralisées avec l’utilisation des cartes de paiement, crédit ou débit, ou des téléphones intelligents. Au pire de la pandémie, on a cru que les billets de banque, soupçonnés d’être des vecteurs de la COVID-19, allaient disparaître de la carte. L’annonce de leur disparition s’est avérée prématurée.

Bonnes et mauvaises intentions

L’avènement de la monnaie numérique est une tendance lourde qui bousculera le système de paiement, à commencer par ses principaux intermédiaires, les banques. Selon la Banque des règlements internationaux, le quart de la population mondiale aura accès à une monnaie numérique d’ici trois ans.

L’apparition du bitcoin et des autres cryptomonnaies a donné une nouvelle impulsion aux monnaies numériques des banques centrales, qui craignent de voir le contrôle du système financier leur échapper au profit d’un marché hors de tout contrôle.

Contrairement au bitcoin et aux autres cryptomonnaies, les monnaies numériques sont émises et garanties par les banques centrales. Elles ont l’avantage de simplifier les transactions et d’en diminuer le coût, puisque les intermédiaires, les banques notamment, ne seraient plus nécessaires.

Contrairement aux cryptomonnaies, qui garantissent l’anonymat à leurs utilisateurs et qui peuvent ainsi faciliter toutes sortes de trafics illicites, la monnaie numérique émise par une banque centrale permet de suivre à la trace le comportement des consommateurs.

Il y a toutes sortes de bonnes raisons pour un gouvernement de passer à la monnaie numérique. Pour les Bahamas, c’est la volonté de donner accès au système financier à ceux qui n’en ont pas et de simplifier la vie de la population.

Il y a aussi de moins bonnes raisons. Parce que la traçabilité de la monnaie numérique permet à un gouvernement de tout savoir sur le comportement des consommateurs, elle accroît son pouvoir de surveillance sur sa population. C’est en partie ce qui motive la Chine1.

Le système de crédit social de la Chine, qui incite les Chinois à se comporter en bons citoyens sous peine d’être punis de différentes façons, est déjà un formidable outil de contrôle de la population, inimaginable dans les pays démocratiques. Avec le yuan numérique, cette surveillance serait accrue par le pouvoir de suivre en plus les transactions financières de tout le monde et de les bloquer au besoin.

La Chine a aussi une autre puissante motivation pour se doter d’une monnaie numérique. Son influence économique grandissante sur le plan international est contrariée par le fait que le dollar américain règne en maître sur l’économie mondiale. Celui-ci est utilisé dans 88 % des transactions internationales, selon la Banque des règlements internationaux, contre seulement 4 % pour le yuan.

Cette domination donne aux États-Unis un pouvoir politique énorme, dont celui d’imposer des sanctions financières aux entreprises chinoises et de paralyser leurs activités, même à l’extérieur du territoire américain.

Avec un yuan numérique, les Chinois veulent réduire cette dépendance mortifiante pour une économie qui dépassera bientôt en importance celle des États-Unis.

1. Lisez l’analyse de la Banque Nationale