Les banques avaient promis que les reports de paiement accordés en raison de la COVID-19 n’affecteraient pas le dossier de crédit des clients. Pourtant, certains de ces emprunteurs ont maintenant du mal à obtenir un nouveau prêt ou un refinancement.

Les courtiers hypothécaires ne manquent pas d’exemples.

Tony Morino, courtier chez Nesto, raconte qu’un de ses clients comptait dégager 10 000 $ pour faire des rénovations en refinançant son hypothèque dont le renouvellement était prévu à la fin d’octobre.

Le propriétaire, qui travaille dans un secteur durement affecté par la COVID-19, a vu ses revenus chuter de moitié. Incapable de continuer à rembourser son hypothèque, il a reporté ses paiements pendant six mois.

Mais il n’avait pas prévu que les intérêts impayés s’ajouteraient à son solde hypothécaire, lui enlevant toute marge de manœuvre pour un refinancement. Pour lui, la seule option reste de contracter un prêt personnel qui lui coûterait plus de 10 % d’intérêts, au lieu de 1,89 % avec un prêt hypothécaire de cinq ans fixe.

Voilà le coût caché des reports de paiement. S’ils avaient su, certains consommateurs qui ont demandé un sursis à leur créancier sans en avoir absolument besoin auraient peut-être choisi de se serrer la ceinture.

« J’ai une cliente qui est coiffeuse. Elle a son propre salon qui a dû fermer au début de la pandémie », raconte Sylvie Rousson, courtière chez Multi-Prêts Hypothèques. Au lieu de rouvrir en juin, la dame a décidé de prendre congé pour l’été. Avec les reports hypothécaires et la Prestation canadienne d’urgence (PCU), tout allait bien… jusqu’à que la banque lui refuse un financement.

Comme dans la fable de la cigale et de la fourmi, il y a des gens qui n’ont pas vu les conséquences à long terme de leur décision de reporter leurs paiements.

Mais il ne faut pas croire que le robinet du crédit est complètement fermé pour toutes les personnes qui ont profité d’un report. « Pour la majorité des gens qui ont recommencé à travailler et à faire leurs versements normaux, je n’ai pas de difficulté », explique Mme Rousson, qui doit toutefois documenter davantage leur dossier pour rassurer les prêteurs.

Au 30 septembre, 795 000 Canadiens avaient demandé un report hypothécaire, dont environ 117 000 Québécois (uniquement dans les six grandes banques). De plus, quelque 477 000 Canadiens ont demandé un report pour une carte de crédit, un prêt auto, une marge, etc.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous ces reports sont bel et bien inscrits au dossier de crédit avec la lettre « D » pour « deferral » chez TransUnion ou encore avec la mention « différé en raison d’une catastrophe naturelle » chez Equifax, qui précise que l’information laissera une trace durant six ans.

Comme il ne s’agit pas de retards, ces inscriptions n’ont pas d’impact négatif sur le pointage de crédit, m’ont certifié les deux agences. Malgré tout, un report de paiement peut lever un drapeau jaune dans l’esprit des prêteurs qui ne se fient pas uniquement au pointage de crédit avant d’accorder ou de refuser un prêt.

Qu’il y ait report de versements ou pas, la banque fait systématiquement une évaluation de la capacité et de la solvabilité des demandeurs lors d’une demande de crédit. La stabilité d’emploi, des revenus et le niveau d’endettement font partie des éléments qui sont analysés.

Jean-François Cadieux, porte-parole de la Banque Nationale

En ces temps d’incertitudes, les prêteurs sont sur les dents. Ils exercent une gestion de risque serrée, même si les consommateurs se portent étonnamment bien.

Malgré la pandémie, les deux agences ont observé une légère amélioration du pointage de crédit moyen. La hausse est de six points chez Equifax, dont les scores varient entre 300 et 900 points. Cette embellie est attribuable à la baisse des dépenses, à la diminution des dettes sur les cartes de crédit et à la réduction des défauts de paiement grâce aux sursis accordés.

Mais avec la fin des reports et de mesures de stimulation économique, « nous voyons la tendance ralentir ces derniers temps et nous prévoyons davantage de stress dans les dossiers de crédit », avance Pamela Dodaro, chef du crédit, Groupe des solutions innovantes, chez TransUnion Canada.

On a déjà observé cet effet à retardement dans le passé, lorsque des catastrophes naturelles ont déclenché une vague des reports de paiement. « Il y a une baisse des défauts de paiement pendant six mois. Mais un an plus tard, les effets se font ressentir », rapporte Pierre Fortin, président du réseau de syndics Jean Fortin.

Lui aussi a rencontré des consommateurs qui se sont vu refuser un prêt après avoir obtenu un report de paiement. « J’ai peur que les institutions soient beaucoup plus sévères pour les consolidations de dettes. C’est le gros problème que j’entrevois », s’inquiète le syndic.

La consolidation est une solution efficace pour donner de l’oxygène aux consommateurs étouffés par leurs dettes. Ils peuvent alléger leur budget en regroupant toutes leurs dettes en un seul prêt qui leur coûte moins cher d’intérêts que leurs cartes de crédit à 20 % et plus.

Ce serait dommage que cette porte se referme pour ceux qui ont eu recours à un report de paiement.