Ni le constructeur du Réseau express métropolitain (REM) ni la Caisse de dépôt et placement du Québec ne veulent assumer la facture qui viendra avec la transformation du tunnel du mont Royal pour le rendre sécuritaire. La patate chaude pourrait même se retrouver devant les tribunaux.

C’est ce qui ressort de documents du constructeur NouvLR que nous avons obtenus et d’un entretien de La Presse avec un dirigeant de CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec. NouvLR est le consortium chapeauté par SNC-Lavalin qui voit à la conception et à la construction du REM.

Le mur de plusieurs kilomètres qui séparera le tunnel en deux sur la longueur est la solution retenue pour permettre l’évacuation sûre des passagers en cas d’incendie. Il fait partie des éléments qui, selon nos informations, pourraient ajouter des centaines de millions de dollars au coût du projet si l’on tient compte des retards qu’il engendrera pour le reste des travaux, d’après ce que prévoit NouvLR dans un rapport.

Le tunnel vieux de 100 ans doit respecter la norme internationale NFPA 130, qui exige une évacuation des passagers en moins de six minutes en cas d’incendie.

Pour la Caisse, cette mise aux normes du tunnel ne constitue pas un extra et la facture du mur devra donc être assumée par NouvLR.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Harout Chitilian, directeur exécutif, affaires corporatives et développement de CDPQ Infra

C’est la responsabilité du constructeur de se conformer à la norme NFPA 130, qui est prévue au contrat.

Harout Chitilian, représentant de la Caisse, entrevue avec La Presse mardi

Ce n’est pas ce que pense NouvLR. Hier, l’entreprise n’a pas voulu parler à La Presse pour commenter nos informations, mais des documents nous indiquent clairement que le consortium n’a pas l’intention de payer.

Une longue discorde

Selon ces documents, la discorde au sujet du tunnel remonte au moins à un an. Le 2 novembre 2018, NouvLR a transmis une lettre à CDPQ Infra pour l’aviser formellement que les exigences particulières de sécurité du tunnel ne faisaient pas partie du contrat signé quelques mois plus tôt, qu’il s’agissait d’un extra (1).

Dans cette lettre, NouveLR demande à la Caisse d’émettre un avis officiel de modification au contrat avant de commencer le moindre travail de conception en lien avec le tunnel du mont Royal. Le consortium avise également la Caisse qu’il « réserve ses droits pour tout recours » judiciaire à ce sujet qui pourrait avoir un impact sur les coûts et les délais.

Le 5 février 2019, une autre lettre de NouvLR est transmise à CDPQ Infra. Cette fois, NouvLR y affirme que la Caisse a « déterminé unilatéralement » que le mur séparateur est la meilleure solution pour le tunnel. Cette option, écrit NouvLR, « ne s’inscrit pas dans les travaux » prévus au contrat.

Le consortium demande encore une fois à la Caisse d’émettre un avis officiel pour reconnaître qu’il s’agit d’un extra.

L’avis intégrant le mur séparateur au contrat a finalement été émis le 9 février 2019, selon ce qui est écrit dans le rapport d’avancement des travaux du mois d’août 2019. Le rapport n’indique pas si cet avis a été émis par la Caisse sous réserve de contestations futures.

NouvLR faisait d’ailleurs toujours l’analyse de l’implantation de cette solution en août, notamment avec le Service de sécurité incendie de Montréal. C’est cette solution qui, selon le rapport de NouvLR, aurait entre autres pour effet de décaler de 20 mois la mise en service du principal tronçon du REM, entre le centre-ville de Montréal et l’arrondissement de Saint-Laurent.

Mardi, au cours d’un entretien téléphonique, le directeur exécutif, affaires corporatives et développement de CDPQ Infra, Harout Chitilian, affirmait que ce n’était pas à l’institution d’assumer les coûts du mur séparateur, que l’obligation de sécurité faisait partie du contrat et que la solution retenue ne constituait donc pas un extra.

« L’adhésion du projet à la norme NFPA 130 est prévue au contrat, nous a-t-il dit. Comment cette adhésion-là se fait est la responsabilité du constructeur. C’est ça, un contrat design-build avec des critères de performance. »

On n’explicite pas à la lettre tout ce qui doit être fait. On donne les grandes lignes et, surtout, on impose au constructeur des normes qui sont reconnues internationalement.

Harout Chitilian

« Dans ce cas-là, c’est une norme de sécurité qui est pleinement reconnue par les services d’incendie et comment tu adhères à cette norme, ça dépend de la conception que tu fais. Donc, c’est la responsabilité du constructeur de devenir conforme à la norme. Comment il le fait ? Ça lui appartient. »

Longs délais

Rappelons que, selon des éléments du rapport dévoilés mardi par La Presse, seulement 41 % de la conception du REM avait été approuvée par la Caisse de dépôt à la mi-août, alors que NouvLR prévoyait en être à 91 %.

Ces retards de conception et diverses embûches repousseront non seulement la mise en service du REM sur le premier tronçon qui passe par le tunnel, mais également sur l’antenne Rive-Sud, selon le rapport.

L’antenne Rive-Sud, qui traverse le nouveau pont Champlain vers le centre-ville, est censée être la première mise en service, vers la fin de 2021. Le rapport prévoit maintenant une mise en service en avril 2023, soit 15 mois plus tard. L’écart s’explique notamment par les difficultés de NouvLR à accéder à la voie du pont prévue pour le REM, selon le rapport.

Jointe de nouveau hier, CDPQ Infra n’a pas souhaité ajouter d’éléments par rapport à l’entrevue accordée par M. Chitilian mardi.