Le 29 mars dernier, jour du budget fédéral, le couperet est tombé: le gouvernement Harper coupait 115 millions du financement public de Radio-Canada à terme en 2014-2015. D'un seul coup, le diffuseur public venait de perdre 10% de son financement public et 7,7% de son budget total.

Huit mois plus tard, la société d'État a déjà pris ses premières décisions difficiles, comme de réduire les coûts et le nombre de ses grandes productions. «Radio-Canada n'est pas en faillite, mais nous voyons déjà les effets des coupes. Nous avons plus de reprises à la radio, et les budgets pour certaines émissions télé comme des documentaires risquent d'écoper», dit Pierre Bélanger, professeur en communications à l'Université d'Ottawa.

Radio-Canada espère maintenant obtenir un peu d'oxygène de la part du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC), qui pourrait changer ses conditions de licence pour lui permettre d'augmenter ses revenus en vendant de la pub à la radio et en négociant des redevances des distributeurs. Les audiences du CRTC sur le renouvellement des licences de Radio-Canada - les premières en 12 ans - commencent aujourd'hui à Gatineau. Le PDG de Radio-Canada, Hubert Lacroix, a décliné notre demande d'entrevue sur les défis qui attendent Radio-Canada, indiquant qu'il ne donnera pas d'entrevue avant le début des les audiences du CRTC.

À l'aube des audiences, les finances du diffuseur public sont sous pression. En plus de la perte de 115 millions de son financement gouvernemental, Radio-Canada devra renoncer à 47 millions avec l'abolition du Fonds pour l'amélioration de la programmation locale en 2015. Le tout dans un contexte où ses parts de marché s'effritent à la télé depuis 10 ans (de 14,7% à 12,8%). «Les parts de marché de Radio-Canada à la télé vont continuer à décliner, comme toutes les télés généralistes», dit Michel Arpin, ancien vice-président du CRTC et aujourd'hui professeur à l'Université de Montréal.

Tou.tv rentable?

Plus optimiste, l'ancien vice-président des Services français de Radio-Canada, Sylvain Lafrance, croit que les nouvelles plateformes de diffusion sur le web et sur iPad favoriseront le diffuseur public par rapport à ses concurrents privés. «Radio-Canada doit être là pour assurer la diversité et la présence de contenu canadien, dit Sylvain Lafrance, maintenant professeur à HEC Montréal. Radio-Canada est une façon très efficace de faire du contenu canadien accessible à un grand nombre de Canadiens sur les nouvelles plateformes d'une façon très démocratique.»

Le site Tou.tv, qui permet de regarder les émissions de Radio-Canada comme celles de Télé-Québec et TV5 monde, démontre le succès du virage numérique de Radio-Canada. Fort populaire avec ses 2,9 millions de branchements par mois, Tou.tv serait rentable depuis peu selon un document de Radio-Canada rendu public en août. Radio-Canada n'a pas voulu confirmer la rentabilité de Tou.tv.

Rentabilité ou pas, le site Tou.tv ne fait pas l'affaire de certains concurrents de Radio-Canada. Dans son mémoire au CRTC, Québecor allègue que Tou.tv «fragilise encore plus les télés généralistes privées et le système de radiodiffusion» en incitant les gens à se désabonner du câble.

Controversée, la pub à la radio

À la radio, les parts de marché de Radio-Canada ont grimpé de 11,1% à 17,8% depuis 10 ans. Un succès qui ne se transporte pas dans les états financiers car il n'y a pas de publicité à la radio de Radio-Canada depuis 1974. La société d'État demandera cette semaine au CRTC de revenir sur sa décision datant du milieu des années 70 et de permettre la publicité sur Espace Musique et Radio 2. Un débat qui s'annonce houleux - et dans lequel Radio-Canada se retrouve seule dans son coin.

«Si Radio-Canada obtient cette permission, elle demandera plus tard de la publicité sur ses autres chaînes de radio plus populaires, dit Ian Morrison, porte-parole des Amis de la radiodiffusion canadienne. Plus Radio-Canada devient commerciale, moins elle est distinctive, moins elle aura l'appui du public. Le risque à long terme, c'est que Radio-Canada devienne un diffuseur commercial qui perd un milliard de dollars par année!»

Selon les estimations de Radio-Canada, la publicité radio pourrait lui rapporter 15 millions dès la première année et jusqu'à 35 millions d'ici la septième.

«Radio-Canada va concurrencer en publicité les petites stations de musique classique et de jazz, et non les grosses stations d'Astral, Bell et Rogers», dit l'ancien vice-président du CRTC, Michel Arpin, lui aussi opposé à cette demande Radio-Canada.

Même Sylvain Lafrance n'est pas chaud à l'idée d'entendre de la publicité à la radio de la société d'État. «C'est peut-être un mal nécessaire, surtout si le financement public n'augmente pas, dit l'ex-cadre de Radio-Canada. Mais un élément de la personnalité de la radio de Radio-Canada, c'est l'absence de publicité.»

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RADIO-CANADA DEPUIS 10 ANS

[2001-02 / 2011-12]

Budget (en millions de dollars) : 1242 / 1851

Financement public (en millions) : 780 / 1162

Part du financement public sur le budget total de Radio-Canada : 62,8% / 62,8%

Part du financement public de Radio-Canada sur le budget fédéral (dépenses de programmes) : 0,60% / 0,47%

Coût du financement public de Radio-Canada par Canadien : 25,18$ / 33,75$

Contenu canadien (télé Radio-Canada en français, journée complète) : 83% / 86%

Parts de marché

Radio-Canada (télé en français)

journée complète : 14,7% / 12,8%

heures de grande écoute (19h-23h) : 19,7% / 18,6%

RDI : 3,2% / 2,7%

radio (français et anglais) : 11,1% / 17,8%

web (visiteurs uniques/mois) : 0,9 million / 2,1 millions

Nombre d'employés à temps plein : 6929 / 8396

Émission de télé la plus populaire

Radio-Canada : 1,6 million (finale olympique de hockey) / 3,3 millions (Bye Bye 2011)

CBC : 4,6 millions (cérémonie de clôture des JO de Salt Lake City) / 2,5 millions (Concours d'habiletés des étoiles de la LNH)

Sources : Radio-Canada, Statistique Canada, ministère des Finances du Canada

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LES DEMANDES DE RADIO-CANADA AU CRTC

> Permettre la publicité à la radio à Espace Musique et Radio 2

> Maintenir la distribution obligatoire de RDI sur le câble dans le Canada anglais

> Obliger les distributeurs à offrir l'accès à ARTV à leurs abonnés du câble au Canada anglais

> Établir un système de redevances pour Radio-Canada (comme pour les télés généralistes privées, dont le dossier est devant la Cour suprême)

> Assouplir de façon générale les conditions des licences de Radio-Canada

33,75$ PAR CANADIEN

À 33,75$ par citoyen par année, Radio-Canada est l'un des diffuseurs publics les moins chers en Occident, selon une étude du Groupe Nordicité pour le compte de Radio-Canada en 2011. Sur 18 pays, Radio-Canada est le troisième diffuseur qui coûte le moins cher, après la Nouvelle-Zélande (27$ par citoyen) et PBS aux États-Unis (4$ par citoyen). Les Norvégiens sont ceux qui paient le plus cher pour leur télé publique: 164$ par citoyen par année pour NRK. Au sixième rang, les Britanniques paient 111$ par année pour la BBC. Moyenne des 18 pays étudiés: 87$ par citoyen en 2009. En 10 ans (2001-2002 à 2011-2012), le coût par citoyen de Radio-Canada est passé de 25,18$ à 33,75$, selon les calculs de La Presse.

LA FIN DE HOCKEY NIGHT IN CANADA

Un dossier chaud à la CBC: l'avenir de Hockey Night in Canada, moteur publicitaire de la télé publique anglophone. CBC possède les droits nationaux des matchs de la LNH le samedi soir jusqu'à la fin de la saison 2013-2014, mais Bell et Rogers n'ont pas caché leur intérêt de les lui ravir ensuite. La fin de Hockey Night in Canada serait-elle une catastrophe pour CBC? Pas selon Sylvain Lafrance, qui a été vice-président des Services français de Radio-Canada de 2005 à 2011. «Je ne suis pas de ceux qui croient que la présence du hockey et absolument essentiel à la survie de CBC, dit-il. Hockey Night in Canada est un élément important, mais CBC peut prouver son utilité sans cette émission.»