Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle d'entreprise qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.

Si Montréal se présente aux yeux de la planète comme la plus grande capitale culturelle française en terre d'Amérique, où foisonnent institutions culturelles et festivals, il ne faut pas perdre de vue les défis que représente la conduite d'une institution culturelle. Madeleine Careau, chef de la direction à l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM), en sait quelque chose, elle qui dirige les destinées administratives de l'orchestre depuis plus d'une décennie.

Au moment où Madeleine Careau entre en poste à l'OSM, en février 2000, l'orchestre connaît des difficultés évidentes. Les relations entre les musiciens et la direction artistique sont tendues, et la réputation internationale de l'orchestre n'est plus ce qu'elle était dans les années 80. Par ailleurs, les problèmes financiers de l'orchestre sont criants, alors que l'OSM traîne un déficit cumulé de plus de 5 millions de dollars. Et l'orchestre attend toujours la nouvelle salle de concert que tous les gouvernements provinciaux successifs lui promettent depuis deux décennies. Bref, les défis sont nombreux, et Madeleine Careau s'y attaque en gardant à l'esprit que la «relance» de l'OSM doit passer par trois enjeux majeurs: la présentation au public montréalais d'un contenu artistique de qualité, un financement adéquat et une situation budgétaire équilibrée et, enfin, la construction d'une salle de concert digne des ambitions internationales de l'orchestre et d'une métropole comme Montréal.

Dossier par dossier, Madeleine Careau s'attaque à ces enjeux. Elle sollicite et mobilise certaines parties prenantes qui viennent l'appuyer dans l'ébauche de solutions. C'est d'abord l'enjeu du contenu artistique qui est rapidement mis au premier plan, avec la démission fracassante de Charles Dutoit en avril 2002. En parallèle au remplacement temporaire du chef par son assistant Jacques Lacombe, le CA de l'OSM crée un comité de sélection de 13 personnes, toutes mélomanes, sans être toutefois toutes intimement liées à l'orchestre. Au terme d'une année d'entrevues et de délibérations, le choix du comité s'arrête sur Kent Nagano.

Simultanément à ces démarches, Madeleine Careau s'attaque au dossier du renouvellement du contrat de travail avec les musiciens. Cette négociation est ardue et débouche sur la plus longue grève d'un orchestre en Amérique du Nord, de mai à octobre 2005. Madeleine Careau est la cible constante du syndicat des musiciens de l'OSM. La gestionnaire décide alors de mobiliser l'une des parties prenantes, l'ancien premier ministre Lucien Bouchard, qui est alors président du conseil d'administration de l'orchestre. Ce dernier l'appuie et la seconde au cours des négociations, qui débouchent sur un règlement négocié entre les deux parties assurant la paix syndicale pour les cinq années suivantes.

Au chapitre du financement, Madeleine Careau reconnaît encore ici qu'elle aura besoin d'un solide soutien de la part de certaines parties prenantes gravitant autour de l'OSM. Cette fois-ci, c'est Hélène Desmarais, présidente déléguée du conseil d'administration et présidente de la Fondation de l'OSM, qui lui vient en aide. Ensemble, les deux femmes lancent officiellement, en avril 2009, la Fondation de l'OSM, dont l'objectif vise à constituer pour l'orchestre un fonds de dotation de quelque 60 millions de dollars. De par ses contacts et son travail acharné de sollicitation, Hélène Desmarais est en mesure de récolter, en l'espace de quelques mois, des dons et promesses de dons totalisant 40 millions. La Fondation devrait permettre de générer des fonds récurrents pour tendre vers l'équilibre budgétaire.

Au chapitre des infrastructures, c'est encore grâce à l'appui d'une partie prenante importante que l'OSM peut enfin espérer se produire dans une toute nouvelle salle de concert. Dans la mesure où le gouvernement du Québec contribue de manière importante au financement de l'orchestre, il devient donc de facto une partie prenante incontournable pour l'OSM. Or, Madeleine Careau a la chance de connaître personnellement Monique Jérôme-Forget, ancienne présidente du Conseil du Trésor au sein du cabinet Charest, mais surtout ardente supportrice de l'OSM. Monique Jérôme-Forget sait faire valoir les bons arguments au Conseil des ministres afin de faire aboutir ce projet: c'est chose faite avec l'annonce, en juin 2006, de la construction de l'Adresse symphonique, finalement inaugurée en 2011.

La gouvernance d'une organisation culturelle telle que l'OSM comporte son lot d'aléas et d'incertitudes qui complexifie davantage le métier d'une gestionnaire telle que Madeleine Careau. Comprendre les intérêts, le pouvoir et les attentes de chacune des parties prenantes et mobiliser celles-ci ont permis à Madeleine Careau et son équipe d'assurer un avenir plus serein au vénérable orchestre. Gérer une institution culturelle, c'est aussi gérer avec les parties prenantes.

Quelques interrogations

Quels sont les grands défis d'une institution des arts de la scène?

Que recommanderiez-vous à Madeleine Careau pour assurer la pérennité et la croissance de l'OSM dans les années à venir?

François Normandin (francois.normandin@hec.ca) est étudiant au doctorat à HEC Montréal. Serge Poisson-de Haro (serge.poisson-de-haro@hec.ca) est professeur à HEC Montréal.

Vous trouverez la version intégrale du cas «Madeleine Careau et l'Orchestre symphonique de Montréal» à l'adresse www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.