Qualifiant Vincent Lacroix de «manipulateur irrécupérable», l'Autorité des marchés financiers demande au juge Claude Leblond de lui imposer une peine dépassant 5 ans de prison.

Qualifiant Vincent Lacroix de «manipulateur irrécupérable», l'Autorité des marchés financiers demande au juge Claude Leblond de lui imposer une peine dépassant 5 ans de prison.

Le procureur de l'AMF, Eric Downs, a plaidé pendant deux bonnes heures vendredi après-midi en disant que chacun des 51 chefs valait 5 ans moins un jour de prison et 5000 $ d'amende.

Sans demander la multiplication du temps d'emprisonnement par 51, il demande toutefois au magistrat de la Cour du Québec d'introduire un élément de «consécutivité» à la sentence.

Il a même suggéré une peine multipliée par «blocs d'infractions». Pendant les audiences, l'AMF a souvent divisé les 51 chefs en trois blocs. Si le juge Leblond devait s'inspirer de cela, il imposerait 15 ans moins trois jours d'emprisonnement à Vincent Lacroix.

Claude Leblond a dit que la jurisprudence n'établissait pas des règles limpides en la matière, mais Eric Downs lui a répondu que la cour se trouvait dans une situation «sans précédent» dans le dossier Norbourg.

La sentence sera rendue le lundi 28 janvier en après-midi.

Une dure plaidoirie

En présentant une plaidoirie de 31 pages, Eric Downs a démontré plus de mordant que pendant tout le reste de ce procès pénal.

D'entrée de jeu, il s'est attaqué au témoignage fait ces derniers jours par Vincent Lacroix, le traitant de «manipulateur irrécupérable et sans remords». Même après le jugement de mardi, ajoute le juriste, le PDG déchu «hésite à reconnaître sa responsabilité».

Me Downs estime que Vincent Lacroix blâme tout le monde pour le scandale Norbourg: ses anciens collaborateurs, les institutions comme la Caisse de dépôt de placement du Québec, la date où se sont produites les perquisitions et même le syndic RSM Richter.

Il poursuit que les explications de cette semaine sont «invraisemblables». La thèse de la «gestion de rattrapage» pour renflouer les investisseurs avec 115 M$ de retraits irréguliers est «surréelle».

«Il a raison de parler d'une fusée qui a manqué son décollage, tonne le procureur. Ce qu'il souhaite, c'est nous amener dans les nuages. M. Lacroix a agi par appât du gain. On ne peut expliquer ça par une erreur de jeunesse. Nous n'avons pas tous un MBA mais nous avons tous un gros bon sens.»

L'idée que Norbourg était en bonne voie de rembourser ses investisseurs à la fin de 2003 a fait réagir Me Downs. Celui-ci a plaidé qu'au 23 janvier 2004, M. Lacroix avait fait 55 retraits pour 45,5 M$ dans les fonds. Il avait dépensé 4,7 M$ pour des fins personnelles comme des propriétés, des prêts à son entourage et l'achat de compagnies comme Zip Jeans.

«Il a le culot de dire qu'il voulait faire une gestion de rattrapage par des vases communicants», ajoute Eric Downs.

Et l'investissement dans l'explorateur Dianor en 2005, «c'était la panacée. Il voulait jouer au poker aveugle sur un titre spéculatif. Il aurait peut-être fallu arrêter de faire des retraits irréguliers.»

Après cet investissement au printemps 2005, souligne le procureur de l'AMF, Vincent Lacroix a retiré 17 M$ illégalement à même l'épargne des investisseurs. Il s'en est servi pour acheter l'Auberge de l'Étoile, le Grand Café et des entreprises comme Investpro. «On est en train de se refaire», a-t-il ironisé en imitant le témoignage de M. Lacroix.

La plaidoirie comportait aussi une foule d'autres points, dont des commentaires sur le rôle d'Éric Asselin. «Il n'a jamais signé de demande de retrait, de chèques, il n'a jamais bénéficié de 115 M$.»

L'avocat écarte du revers de la main tout blâme sur Northern Trust, sur l'Autorité des marchés financiers, sur la Caisse ou sur le personnel de Norbourg. Il maintient que les propos de Vincent Lacroix ne tiennent pas la route.

En 137 retraits et 5 ans d'actions au quotidien, il estime qu'«on prémédite, on planifie, on persiste. Il a toujours eu le choix de l'illégalité, de l'appât du gain.»

Des choix comme l'achat d'un onéreux collier de perles, de maisons... et de congédier Éric Asselin s'il l'avait voulu.

Me Downs n'a pas non plus digéré la tentative de Vincent Lacroix de démontrer des remords en cour. «Des excuses, ça se manifeste par un comportement. Après le 25 août 2005, il a continué à berner les gens, à berner les victimes [...] Il savait pertinemment l'ampleur du problème.»

Quant à la collaboration dont le PDG déchu dit avoir fait preuve avec les autorités, le procureur a dit que cela n'avait rien d'atténuant.

En somme c'est «un manipulateur susceptible de récidiver» qui a «causé préjudice aux épargnants» et «de la détresse humaine», résume l'avocat.

Invoquant les témoignages de cette semaine de la part des victimes et les études démontrant l'impact des infractions à la loi sur les valeurs mobilières sur la confiance envers les marchés financiers, Me Downs juge que les facteurs aggravants se sont multipliés.

Afin de justifier la peine demandée, Eric Downs a cité une «preuve excessivement volumineuse», un stratagème visant à maquiller les infractions et le «caractère prémédité» des gestes de M. Lacroix. C'est sans oublier l'enregistrement de nouvelles compagnies après coup, ce qu'il qualifie d'«assez préoccupant».

Si la jurisprudence pénale canadienne ne comprend pas d'exemples similaires au scandale Norbourg, le «contexte d'abus de confiance» et le préjudice causé par les infractions justifieraient des peines consécutives de prison.

«Vous avez [devant vous] un cas sans précédent, a plaidé Eric Downs. C'est une situation hors normes, hors de proportions.»

Accordant la priorité au temps passé derrière les barreaux, il ne réclame pas plus de 5000 $ d'amende par chef, ce qui équivaudrait quand même à 255 000 $. Il suggère plutôt que le juge a le pouvoir d'imposer une longue peine.

«Si une situation mérite une consécutivité, dit Me Downs au juge Leblond, c'est celle-ci.»

Choisissant la date du 28 janvier pour prononcer la sentence, le magistrat a répondu que faire cette réflexion «ne sera pas facile, mais je vais le faire.»