Depuis cinq ans, le dollar canadien est passé de 63 cents US à 1,08$US. Cela a entraîné des conséquences graves pour l'économie canadienne. Que faire? Nous vous présentons deux points de vue sur cette question.

Depuis cinq ans, le dollar canadien est passé de 63 cents US à 1,08$US. Cela a entraîné des conséquences graves pour l'économie canadienne. Que faire? Nous vous présentons deux points de vue sur cette question.

Depuis l'automne 2002, le dollar canadien a bondi de presque 70% par rapport au dollar américain, soit de 63 cents US à 1,08$US. Les causes sont connues. D'une part, les États-Unis affichent un déficit annuel de 800 milliards de dollars dans leurs échanges avec les pays étrangers; d'autre part, à l'inverse, les comptes extérieurs du Canada enregistrent un excédent annuel de 25 milliards.

En plus, le dollar canadien est dopé par la ruée des capitaux vers les monnaies des pays qui, comme le nôtre, exportent de l'énergie et des matières premières afin de répondre à une demande mondiale en explosion. Il y a grand risque que l'appréciation de notre monnaie se poursuive encore pendant plusieurs années.

C'est évidemment l'euphorie dans l'ouest du Canada. Mais le Québec et l'Ontario voient leur base forestière et manufacturière détruite sous leurs yeux. Cette base a perdu 300 000 emplois (16% du total) depuis l'automne 2002.

Ce bilan est d'ailleurs incomplet, puisque la hausse brutale que notre devise connaît depuis janvier dernier (de 85 cents US à 1,08$US) est loin d'avoir encore fait sentir son plein impact sur l'emploi forestier et manufacturier. Toronto, Ottawa, Gatineau, Montréal et Québec, qui s'appuient sur un secteur des services prospère, s'en sortent. Mais nos régions forestières et manufacturières voient le sol se dérober sous leurs pieds. Que faire?

Deux camps s'affrontent. Le premier, dont nous faisons partie, pose une question très simple: quelle entreprise locale ou internationale désirant vendre dans toute l'Amérique du Nord va maintenant être assez folle pour s'implanter ou grandir au Canada, sachant qu'un dollar canadien hors contrôle rend son avenir financier impossible à planifier et à prévoir? Aussi bien s'installer aux États-Unis.

Le camp adverse fait observer que fixer le taux de change de manière définitive ou adhérer à une monnaie nord-américaine unique forcerait la Banque du Canada à renoncer à influencer les taux d'intérêt de façon autonome. Ces partisans d'un taux de change flottant au gré des marchés financiers internationaux rétorquent donc: quel pays peut être assez fou pour abdiquer ainsi tous les bienfaits que cette autonomie de la politique monétaire apporte à son économie?

Union monétaire européenne

À cette dernière question, notre réponse est que plusieurs pays européens ont déjà sombré dans une telle folie! Ils sont 13 à former ensemble l'Union monétaire européenne et à utiliser une monnaie commune, l'euro.

Ce débat pourrait être simplement amusant s'il n'entraînait pas des conséquences graves pour notre économie. Si des pays comme le Portugal et l'Irlande sont entrés dans une union monétaire avec des pays 10 fois plus gros qu'eux, comme l'Allemagne et la France, c'est parce qu'ils ont compris que la perte de leur indépendance monétaire était un prix microscopique à payer pour éviter le danger qu'une monnaie instable faisait courir à leur croissance économique à long terme. Le résultat de ce calcul simple n'est pas différent lorsqu'on l'applique aux États-Unis et au Canada.

Il y a maintenant 37 ans que la Banque du Canada laisse flotter librement le dollar canadien afin de pouvoir mener une politique monétaire indépendante de celle des États-Unis. Assez pour faire un bilan. Or, la performance des autorités canadiennes n'a rien pour impressionner.

En plus des risques habituels de faire des affaires, nos entreprises doivent se battre avec l'instabilité du dollar canadien (hausses et baisses de 30% ou plus à tous les 10 ans) et avec des taux d'intérêt (nets de l'inflation) plus élevés qu'aux États-Unis. L'économie réagit comme on peut s'y attendre: nos taux de chômage et d'inflation ne sont pas meilleurs qu'au sud de la frontière et notre croissance économique est plus lente.

Nous convenons avec le premier ministre Harper qu'il faut observer scrupuleusement le principe de non-ingérence dans la gestion quotidienne de la politique monétaire de la Banque du Canada. Néanmoins, ce serait une bonne idée de convoquer la Banque à un comité de la Chambre des Communes pour lui faire expliquer les avantages que le Canada a supposément retirés de 37 ans de taux de change flottant. La Banque est une institution politique qui doit rendre des comptes. Non-ingérence n'est pas synonyme de non-imputabilité.

Nous sommes d'avis, quant à nous, que le taux de change du dollar canadien est hors contrôle, que cela nuit gravement à notre croissance économique et que nos économies régionales en souffrent profondément. La politique monétaire indépendante que la Banque du Canada mène depuis 37 ans n'a finalement été qu'un vain exercice de souveraineté qui contribue à maintenir notre performance économique dans la médiocrité.

Le taux de change flottant est en contradiction flagrante avec le libre-échange. D'une part, on convie les entreprises à s'installer au Canada en leur faisant miroiter l'accès libre au marché américain. D'autre part, on les détourne de cette option en leur rendant la vie impossible avec un dollar en folie.

Il y a plusieurs façons de stabiliser la valeur du dollar canadien: l'utilisation du dollar américain au Canada (par exemple, avec la photo de Wilfrid Laurier au lieu de George Washington), une union monétaire nord-américaine comme en Europe, un conseil monétaire (ou currency board) comme à Hong-Kong autrefois, etc.

Nous convenons que chacune de ces voies peut rencontrer des embûches techniques et politiques. Mais des embûches, ça se contourne: quand on veut, on peut.

En 1985, on ne donnait aucune chance à l'accord de libre-échange canado-américain de passer. En 1988, c'était fait.

Pierre Fortin et Marc Van Audenrode sont professeurs, respectivement à l'UQAM et à l'Université de Sherbrooke.