Saviez-vous qu'un grand nombre de clubs de golf privé, qui n'acceptent que des membres fortunés, ne paient pas d'impôt? Qu'ils sont des organismes à but non lucratif au même titre que Carrefour Tiers-Monde, Moisson Québec ou la Maison des jeunes?

Saviez-vous qu'un grand nombre de clubs de golf privé, qui n'acceptent que des membres fortunés, ne paient pas d'impôt? Qu'ils sont des organismes à but non lucratif au même titre que Carrefour Tiers-Monde, Moisson Québec ou la Maison des jeunes?

C'est pourtant la curieuse réalité du monde du golf depuis de nombreuses années. Leurs joueurs triés sur le volet, qui paient parfois 20 000$ pour devenir membres, n'ont pas le profil traditionnel des bénéficiaires d'un organisme à but non lucratif (OBNL). Ils s'appellent Ronald Corey, Jacques Ménard ou Jocelyn Proteau, par exemple.

Au Québec, il existe 129 clubs privés ou semi-privés, dont une quarantaine sont à but non lucratif, peut-être plus. Les clubs de Laval-sur-le-Lac, Vallée du Richelieu, Hillsdale (Mirabel) ou Royal Québec, par exemple, sont tous des organismes dispensés de payer des impôts sur leurs excédents. Le fisc ferme les yeux à la condition que leurs revenus proviennent exclusivement de leurs membres.

Or, La Presse Affaires a constaté que plusieurs de ces clubs tirent une part non négligeable de leurs revenus de sources externes.

Par exemple, la plupart des clubs privés organisent des tournois pour les non-membres, généralement une fois par semaine. Ces tournois sont très lucratifs, puisqu'ils ajoutent peu de dépenses additionnelles aux frais généraux du club.

Au Club Laval-sur-le-Lac, par exemple, on accueille une douzaine de tournois extérieurs par année, qui procurent des recettes de 450 000$ et des profits de 330 000$. Ces tournois permettent au Club de ne pas augmenter les cotisations des membres d'environ 700$ par année, est-il indiqué dans un document du club, que La Presse Affaires a obtenu.

Selon les états financiers 2003 et 2004 du club, ces tournois correspondent à 8% des revenus annuels totaux, mais surtout à 95% des profits. Ces profits n'ont pas été imposés et le club ne paie pas de taxe sur le capital, ce qui représente une économie annuelle d'environ 160 000$.

Mais Laval-sur-le-Lac n'est pas le club le plus accueillant pour les tournois parmi les clubs à but non lucratif. Selon nos informations, le Club Summerlea (Vaudreuil) en accepte une quinzaine par année, le Hillsdale (Mirabel), 17 et le Royal Québec, 23. Au Club Vallée sur Richelieu, la quinzaine de tournois par année et les visiteurs procurent près de 10% du total des revenus, selon les états financiers que nous avons obtenus.

Au Club Royal Québec, qualifié de semi privé, on accepte même les joueurs du public en dehors des heures de pointe, soit avant 8h tous les matins et après 15h la semaine. Environ 1000 visiteurs par année peuvent ainsi parcourir le majestueux golf de 36 trous, fondé en 1922.

Le directeur général du Royal Québec, Marc Grenier, reconnaît que les excédents venant des tournois et des visiteurs permettent de ne pas augmenter la cotisation des membres. Mais il soutient que tous les clubs privés font de même et que de toute façon, ces revenus ne constituent pas une grosse part du total.

Pour être membre du Royal, le droit d'entrée est de 7500$, payable sur cinq ans. Le membre doit en plus payer une cotisation annuelle de 2770$. Le club compte environ 700 membres actionnaires.

Essentiellement, les excédents du club sont réinvestis sur le terrain ou dans les équipements, ce qui évite aux membres d'avoir à financer de tels investissements. «Certains clubs à accès publics tirent le diable par la queue parce qu'ils investissent moins que les clubs privés», explique M. Grenier.

Certains pourraient rétorquer qu'en ne payant pas d'impôt, les clubs privés peuvent justement embellir leurs parcours et ainsi concurrencer les clubs à accès publics.

Le prestige du Royal Québec est d'ailleurs l'une des raisons qui incitent l'Association des diplômés de l'Université Laval à y organiser son tournoi annuel, où se rencontrent plus de 300 joueurs.

«C'est un très beau club, un club de prestige. Il n'y a pas de raison d'aller ailleurs. Notre tournoi donne l'occasion aux diplômés non membres du club d'y jouer une partie, alors que ce club est habituellement réservé aux membres», explique Pierre Gagné, porte-parole de l'Association.

Des millions de moins pour le fisc

Il est difficile d'estimer les revenus que les clubs OBNL tirent des tournois et des visiteurs.

Le directeur général de l'Association des terrains de golf , Jacques Landry, calcule qu'un tournoi normal de 144 joueurs peut rapporter entre 15 000 et 20 000$ de profits, tout compris (droit de jeu, kart, souper, etc.).

Un club qui reçoit huit tournois par année, en moyenne, pourrait donc encaisser 120 000$ de profits non imposés. Pour la quarantaine de clubs à but non lucratif, les revenus soustraits au fisc pourraient donc s'élever à environ 5 millions de dollars par année.

Une autre façon de faire cette estimation est d'extrapoler à l'ensemble des clubs la situation de Laval-sur-le-Lac, dont les profits tirés des tournois et des visiteurs équivalent à 5% des revenus.

Comme les clubs privés font environ 2 millions de revenus par année, selon une étude de la chaire de tourisme de l'UQAM, on peut estimer à 100 000$ les profits externes des clubs à but non lucratif (5% X 2 millions). Pour la quarantaine de clubs, les bénéfices globaux non imposés avoisineraient donc les 4 millions de dollars.

En somme, au taux d'imposition de quelque 25%, le manque à gagner pour Revenu Canada et Revenu Québec serait d'environ un million de dollars par année (4 millions X 25%). À cela, il faut ajouter la taxe sur le capital, pour laquelle on estime que le fisc renonce à environ 1,5 million pour la quarantaine de clubs à but non lucratif. Total perdu par le fisc: 2,5 millions par année.

Le Royal Québec a déjà eu des discussions avec le fisc à ce sujet, nous indique le directeur général, Marc Grenier. Depuis, les revenus de placements du club sont imposés, mais pas les profits des tournois et visiteurs.

«Pourquoi sommes-nous un organisme à but non lucratif? Franchement, je ne sais pas. Au moment de notre fondation, en 1922, le club avait une mission sportive sans intention de faire de l'argent», dit Marc Grenier.

Au Club de Laval-sur-le-Lac, le directeur général Luc Lapointe a été informé de notre reportage et de nos renseignements financiers sur le club, mais il n'a pas voulu faire de commentaires.