Mauvaise surprise : son triplex est voisin d'une station-service. Bernadette Jobin connaissait bien sûr son voisinage.

Mauvaise surprise : son triplex est voisin d'une station-service. Bernadette Jobin connaissait bien sûr son voisinage.

Ce qu'elle ignorait, c'est que son nouveau prêteur hypothécaire, lui, y verrait un problème. Avant de refinancer l'immeuble, l'Unité de développement immobilier de la Banque Nationale demande un examen environnemental du sol.

En raison de son divorce, Bernadette Jobin et son ex-conjoint se séparent les propriétés locatives qu'ils possédaient en commun. Elle doit refinancer quatre de celles-ci pour racheter ses parts.

«Pour emprunter, mon dossier est parfait, confie-t-elle. On m'accorde un prêt de plus d'un million. J'ai fait tous les débours nécessaires pour en arriver là et on me dit tout à coup qu'il faut que je fasse carotter mon terrain parce que je suis une des propriétés mitoyennes avec une station-service.»

Une deuxième propriété est située à moins de 500 mètres d'une station-service. On requiert pour elle aussi une évaluation environnementale. Une troisième, un ancien salon funéraire, fait face aux mêmes contraintes parce qu'il est possible qu'un ancien réservoir de mazout soit enfoui dans le sol — un autre cas typique de contamination.

Trois propriétés sur quatre !

Le Centre de service aux entreprises Desjardins chez qui les hypothèques actuelles des propriétés sont contractées a sensiblement les mêmes exigences.

La facture des évaluations, qui nécessitent un carottage, atteindra probablement 15 000 $. Uniquement pour savoir s'il y a contamination. «Si je suis polluée, on ne pourra pas me financer», s'indigne Mme Jobin.

«Je suis comptable, poursuit-elle. Je fais beaucoup de planification et je dis toujours à mes clients : ne vous inquiétez pas, les immeubles, c'est du béton, on ne perd pas avec eux. Et je me retrouve dans une situation où mon actif de 700 000 $ vaut peut-être 300 000 $ ou 400 000 $ ? Combien peut coûter une décontamination ? Je nage dans le roman !»

Charles Tanguay, secrétaire de l'Association des consommateurs pour la qualité dans la construction, a été très étonné de ces exigences, en apparence systématiques.

«C'est très préoccupant, dit-il. Souvent, les assureurs et les prêteurs hypothécaires découvrent de nouvelles problématiques et se mettent à exiger de nouvelles conditions, de nouvelles contraintes. On les comprend de vouloir se protéger, mais dans ce cas, ce sont les consommateurs qui restent pris avec le problème.»

Son association dénonçait déjà le fait que la garantie des maisons neuves prévoie une exclusion de responsabilité à l'égard des sols contaminés. « C'est donc dire que même pour les maisons neuves, le gouvernement reconnaît d'emblée que ce n'est pas la faute du constructeur s'il construit sur un sol contaminé ! C'est encore une fois un fardeau sur le dos des consommateurs ! »

Les critères des institutions sont-ils de plus en plus sévères et systématiques ?

Les institutions financières ont-elles resserrées leurs exigences à l'endroit des sols contaminés ? Pour une propriété résidentielle, la proximité d'une station-service entraîne-t-elle une demande quasi automatique d'évaluation environnementale de la part des prêteurs hypothécaires ?

Les institutions financières se défendent d'utiliser un critère systématique de proximité — 500 mètres d'une station-service, par exemple. «Ce n'est pas du tout une règle appliquée par l'ensemble de l'industrie bancaire, affirme Jacques Hébert, porte-parole de l'Association des banquiers canadiens. C'est du cas par cas.»

La Fédération des caisses populaires Desjardins soutient qu'aucune politique ou règle concernant la contamination des sols n'a été émise à l'intention des caisses membres. Mais il n'est pas impossible, ajoute-t-on, qu'une caisse qui aurait été informée d'un risque de contamination demande une évaluation environnementale.

La Banque Nationale hésite à reconnaître qu'une plus grande vigilance s'est installée.

«Les politiques sont sensiblement les mêmes depuis de nombreuses années, insiste Karl Grimmel, conseiller principal en politiques de risques à la Banque Nationale. Cependant, ce qui peut varier, c'est la façon dont elles sont appliquées dans chacun des cas que la banque rencontre dans le cours normal de ses affaires. Ce qui peut arriver, c'est qu'il y ait de plus en plus de situations où des risques sont observés et par conséquent, ça ressort plus.»

Le professeur en droit de l'environnement à l'Université Laval Sophie Lavallée, qui a produit en 2006 un rapport sur les risques que les terrains contaminés posaient pour les prêteurs, a observé chez les institutions financières une réticence à aborder la question des critères de contrôle du risque de contamination.

«Les institutions sont de plus en plus systématiques car elles doivent être prudentes pour protéger leur portefeuille, mais elles doivent trouver un équilibre pour ne pas perdre leurs clients au profit de la concurrence, indique-t-elle. Elles ne veulent pas préciser leurs critères de façon exacte parce qu'elles ne veulent pas qu'ils parviennent à la concurrence.»

Du cas par cas... organisé

L'évaluation environnementale est systématiquement exigée pour les immeubles de sept logements et plus. En effet, pour les prêts qu'elle assure, la SCHL l'exige.

Pour les immeubles de six logements et moins, toutefois, elle n'impose aucune norme.

«Dans ce cas, on ne demande pas de façon systématique des évaluations environnementales», explique Benoît Sanscartier, directeur lignes de conduite et technologie des opérations pour l'assurance hypothécaire à la SCHL. «La raison est bien simple : ça ne serait pas pratique. Par contre, on ne se ferme pas les yeux non plus. Si le prêteur ou nous-mêmes sommes au courant d'un risque environnemental, nous allons en demander une.»

Le plus souvent, l'institution sera informée du risque par le rapport d'évaluation de la valeur de la propriété. Le rapport type de l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec inclut d'ailleurs un commentaire à l'égard du risque environnemental.

Que se passe-t-il si une station-service est à proximité immédiate de la propriété ? «On doit le mentionner dans notre rapport, car il existe un risque», soutient Gérald Savary, évaluateur agréé chez Savary, Paul et associés. Surtout si ce rapport d'évaluation est demandé par une institution financière, précise-t-il.

«Avec les stations-service, il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre, observe à ce propos Daniel Galarneau, conseiller en environnement à la Banque Nationale. Pour une propriété résidentielle située à côté d'une station service, une évaluation environnementale de site sera exigée, soit par nous, soit par une autre banque, c'est sûr.»

C'est ce que confirme Denis Bellemo, directeur de compte au Centre financier aux entreprises Desjardins de Montréal Centre, qui offre notamment du financement hypothécaire aux importants propriétaires d'immeubles résidentiels : «Pour une station-service ou un garage de mécanique, c'est systématique, je vous dirais. Normalement, avec une station-service à côté, une évaluation de phase 1 ne sera pas suffisante. Ils vont aller à l'étape 2, qui consiste à effectuer un prélèvement sur le site.»

La proximité d'une station-service n'est cependant pas synonyme de contamination. Les caractéristiques géomorphologiques du terrain joueront un rôle important. En sol argileux, donc imperméable, une fuite de réservoir sera contenue.

L'âge de la station-service est également prépondérant : celles construites après 1987 ont été soumises à des normes beaucoup plus rigoureuses.

La décision de demander une évaluation relèvera en dernier recours de l'institution prêteuse. Bref, c'est une question de jugement — même si des chiffres circulent. «Je vous donne un rayon d'un kilomètre, que l'on voit le plus fréquemment, mais souvent c'est moins que ça, énonce Denis Bellemo. Il n'y a pas de distance requise. C'est également le gros bon sens de l'évaluateur qui est capable de juger le risque possible. »

Des précautions qui se répandent

«Dans l'industrie, le rapport environnemental commence à être de plus en plus demandé, constate Denis Bellemo. Dans quelques années, ça devrait être rendu plus standard, et exigé dans tous les cas.»

Il est relativement rare, cependant, que l'évaluation débouche sur une phase 3, c'est-à-dire sur une décontamination du terrain. «Les décontaminations sont très rares, souligne M. Bellemo. Ça n'arrive pas à toutes les semaines. Je n'en ai aucune en 2006.»

Daniel Galarneau le corrobore : «Dans le résidentiel, si ce n'est pas lié à un facteur de risque de proximité comme une station-service, 80 % des évaluations de phase 1 indiquent qu'il n'y a pas de problème.»

À quoi ressemble l'avenir ?

Précisons d'abord une chose : «Les banques ne peuvent s'appuyer sur la Loi sur la qualité de l'environnement, affirme Jean Rivest, directeur général de l'analyse et de l'expertise pour Montréal au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs. Ce n'est pas nous qui exigeons ça.»

Cependant, les récentes modifications à la Loi sur la qualité de l'environnement, survenues en 2003, ont sans doute inspiré aux institutions financières une plus grande vigilance. Alors qu'auparavant, la Loi visait le pollueur, ces modifications ont introduit la notion de responsabilité du gardien du terrain : le propriétaire doit répondre de la propreté du sol de sa propriété.

«La notion de gardien est floue et la banque qui veut reprendre un terrain peut se trouver responsable de sa décontamination», observe Sophie Lavallée, avocate et professeure de droit de l'environnement à l'Université Laval.

«On peut penser que les législations comme celle-ci ont été adoptées pour inciter le marché et les banques à être plus vigilants et faire en sorte que ce soit la dynamique du marché qui règle le sort des terrains», poursuit-elle.

En d'autres mots, le marché immobilier et les banques imposeront peu à peu les contrôles que le ministère n'est pas en mesure d'appliquer universellement, faute de moyens.

«Ce n'est pas un mauvais choix, soutient Mme Lavallée, mais qui va payer la note, au bout de la ligne ?»

Ce seront les gens comme Bernadette Jobin. Pour obtenir son prêt, elle devra faire caractériser son terrain. Coût : entre 1000 $ et 5000 $ par propriété, selon les phases nécessaires.

«Dans le cas d'un refinancement, ce montant sera inclus dans les fonds libérés», déclare Denis Bellemo, directeur de compte chez Desjardins.

S'il s'agit d'un achat, le coût de l'évaluation pourrait faire l'objet de négociations avec le vendeur. Marie-Hélène Legault, spécialiste en habitation à l'ACEF de l'Est de Montréal, y voit d'ailleurs une analogie avec les tests de pyrite sur la Rive-Sud, que tout vendeur de propriété résidentielle doit produire pour rassurer son acheteur — ce qui préfigure peut-être l'avenir des évaluations environnementales.

Si Bernadette Jobin découvre une contamination, elle devra l'inscrire au registre foncier. À moins d'une improbable ordonnance du ministère, rien ne la forcera légalement à entreprendre alors une décontamination. Mais les institutions financières et le marché immobilier l'obligeront à le faire. Qui voudrait financer ou racheter au plein prix une propriété au sol contaminé ?

Elle aura cependant un recours en justice contre son voisin pollueur. Toujours à ses frais, bien sûr.

«Encore là, résume Sophie Lavallée, c'est sur elle que repose le fardeau financier, l'énergie et le fardeau de la preuve.»

Le dernier recours

Les stations-service sont tenues de remplacer un équipement qui fuit, qui provoque une contamination. «Mais ils ne sont pas obligés de restaurer nécessairement leur terrain», précise Jean Rivest, du ministère de l'Environnement. Elles ne devront généralement le faire qu'au moment de cesser leurs activités ou de vendre la propriété.

L'entreprise sera toutefois obligée d'informer ses voisins si des prélèvements aux limites du terrain montrent une contamination.

Que peut faire le malheureux voisin qui voit ainsi son terrain contaminé ?

«Ils peuvent s'entendre à l'amiable, ce qui arrive de temps en temps», signale Jean Rivest. Sinon, la question se règlera devant un tribunal civil.

«Peut-être en raison de l'absence de vérification préalable, le plus grand nombre de nos litiges concernent présentement les petits immeubles», observe à ce propos Michel Bélanger, avocat spécialisé en environnement chez Lauzon Bélanger. «C'est souvent dans les petits dossiers qu'il y a le plus de litiges. Du côté commercial, les responsabilités au plan technique sont peut-être plus évidentes.»

Le problème des responsabilités se déploie sur deux plans, explique l'avocat. Sur le plan horizontal, un propriétaire dont la propriété a été contaminé par écoulement en tiendra son voisin responsable, lequel en référera à son propre voisin si le problème était en amont, et ainsi de suite jusqu'au terrain à l'origine du problème.

Il y a également un plan vertical : si la contamination s'est produite avant l'acquisition de la propriété, le propriétaire actuel pourra questionner la responsabilité du précédent propriétaire.

C'est une évaluation des coûts et bénéfices potentiels qui déterminera si un recours est justifié. Prévoyez plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Petit précis d'évaluation environnementale

Il vous faut produire une petite évaluation environnementale ? Les institutions financières exigent que le rapport réponde à la norme de l'ACNOR Z768-01.

Cette vérification s'effectue habituellement en trois phases. Plus on progresse, plus on creuse — au sens propre comme au figuré.

Phase 1

L'évaluateur vérifiera la chaîne des titres de propriété, visitera le lieu, interrogera l'occupant et les voisins, étudiera les cartes d'occupation du sol, consultera les rapports des différents ministères, effectuera une description du sol et du relief, explique Anass Guessous, président du Groupe Enviro-Conseil GS. Ses recommandations détermineront si les risques sont minimes ou si une investigation plus approfondie est nécessaire.

Coût : 1000 à 1500 $

Phase 2

Pour faire la preuve définitive de la qualité du terrain, l'évaluateur prélève des échantillons de sol aux endroits stratégiques. Un examen en laboratoire précisera si la teneur en contaminants excède les normes en vigueur. Si c'est le cas, une troisième phase intervient.

Coût : 3000 à 6000 $

Phase 3

Cette phase consiste à décontaminer le terrain. Le plus souvent, indique Anass Guessous, il s'agira de retirer le sol contaminé, dont on disposera dans un site spécialisé. Dans certains cas, on peut effectuer une décontamination par bactéries, quand les conditions s'y prêtent.

Coût : 50 000 $ et plus.

Les classes A, B, C, D

Les normes définissent quatre échelles de contamination, pour une série de polluants.

Dans la classe A, les tests ne révèlent que des traces de contaminants. La classe B définit les limites acceptables en terrain résidentiel. La classe C précise les limites pour les terrains commerciaux et industriels. Enfin, en classe D, le terrain est décrété contaminé.

Voici un exemple pour les hydrocarbures pétroliers (chaînes C10 C50).

Classe A : 300 mg/kg

Classe B : 700 mg/kg

Classe C : 3500 mg/kg