Q. Je suis un homme dans la cinquantaine et je supervise d’excellents jeunes gens, parmi lesquels de jeunes femmes. De temps en temps, je dois me rendre en auto à des réunions, et l’une d’elles doit y être aussi. Il est logique qu’on y aille dans mon auto, ce qui signifie que je serai seul dans une voiture pendant deux heures avec une jeune femme n’ayant pas d’autre moyen de transport.

Chaque fois, je leur dis que s’il y a un quelconque malaise à l’idée d’être seules avec moi dans l’auto, pas de souci, elles peuvent prendre un taxi et l’entreprise paiera. Chaque fois, elles me regardent comme si j’étais cinglé et elles viennent avec moi. Alors je me demande maintenant si je ne suis pas trop paternaliste.

Je souhaite que toute ma petite équipe progresse dans l’entreprise et je veux être un bon patron (ce qui implique, je crois, un certain paternalisme de temps à autre). Mais je veux aussi qu’elles écoutent leurs tripes devant des situations inconfortables. En tant que bon gars – qui sait qu’il n’y a pas que des bons gars dans la vie –, y a-t-il quelque chose que je devrais faire autrement ?

R. Je salue votre volonté de créer un environnement de travail sûr et respectueux, ainsi que votre sensibilité aux défis des femmes dans leur vie quotidienne. Je ne veux pas non plus ignorer l’évaluation inconsciente de la menace que vos employées font sans doute chaque fois qu’elles se retrouvent seules avec un étranger.

En tant que femme qui a déjà eu 23 ans, voici ce que je penserais si mon patron me faisait une offre similaire :

Devrais-je me sentir mal à l’aise seule avec lui ? A-t-il été impliqué dans un incident antérieur ?

A-t-il peur que je l’accuse à tort de quelque chose ?

Si je prends le taxi, est-ce que je rate une occasion d’établir un bon rapport avec mon patron ?

Fait-il la même offre aux hommes de notre équipe ?

Mais voyez comment votre effort pour créer un sentiment de respect et de sécurité chez vos subordonnées pourrait avoir l’effet inverse. Il est clair que votre intention est d’anticiper leurs préoccupations et d’établir la confiance. Mais vous les traitez comme des femmes d’abord, des employées ensuite ; de plus, vous leur imposez la responsabilité de se récuser d’une activité professionnelle banale.

Votre action se situe à la frontière ténue entre la prise en compte des différences (inclusion) et le traitement préventif des personnes en raison de vos suppositions sur ces différences (discrimination). C’est un cousin pas si éloigné de la surcorrection extrême survenue après que le mouvement #metoo a montré le harcèlement au travail et la misogynie : les gestionnaires masculins, pour éviter d’être accusés d’inconvenances, ont exprimé leur réticence à servir de mentor, à voyager avec des collègues féminines ou à discuter directement avec elles.

L’ironie de la chose, c’est que pour éviter une forme de discrimination fondée sur le sexe, ces cadres en adoptent une autre : refuser aux femmes soutien et perspectives de carrière en raison de présomptions fondées sur le sexe.

Je ne parle pas au nom de toutes les femmes, mais d’après moi, l’équité au travail tient en grande partie à deux concepts : nous ne voulons pas être la cible de mauvais traitements en raison de notre sexe, et, si nous croyons que ça arrive, nous voulons être prises au sérieux.

Vous pouvez soutenir cela comme patron en invitant tout le monde à donner son avis, même si c’est difficile à entendre ; en écoutant plus qu’en parlant ; en demandant plus qu’en ordonnant ; et, s’il y a plainte, en suivant le protocole de votre entreprise. Ce sont ces pratiques, et non la galanterie paternaliste, qui confirmeront votre identité de bon gars digne de confiance.

Quand vous sentez la nécessité de faire aux femmes de votre groupe une offre que vous ne feriez pas aux hommes – ou vice versa –, faites donc une petite pause et demandez-vous si vous pouvez recadrer la situation sans avoir besoin d’appliquer deux règles différentes.

Ainsi, le taxi – au lieu de votre voiture – pourrait devenir la norme pour se rendre à ces réunions avec tous vos subordonnés, hommes ou femmes. Ou bien, vous pouvez inverser la formulation de votre offre. Au lieu d’imposer à vos jeunes le fardeau de refuser de voyager avec vous, vous pourriez dire : « J’y vais en auto demain ; si vous voulez que je vous emmène, je pars du bureau à 8 h. Sinon, on se retrouve chez le client à 9 h. » Cela leur permettrait d’accepter ou de refuser sans malaise pour n’importe quelle raison que vous n’avez pas besoin de savoir (par exemple, les jeunes n’aiment pas la musique que vous mettez dans l’auto).

D’après moi, si vous êtes aussi sérieux dans la vie que l’impression que vous donnez dans cette lettre, vos employées savent déjà que vous êtes un bon patron et un bon gars à qui elles peuvent faire confiance. Elles seront heureuses que vous les aidiez à faire avancer leur carrière.

Cet article a été publié dans le Washington Post.

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