Ainsi, le grand détaillant Loblaw fait volte-face et annonce son appui au code de conduite dans le monde de l’épicerie. Il s’agit d’un grand pas dans la bonne direction pour faire adopter le code par les cinq plus grands détaillants, une discussion en cours depuis la crise sanitaire.

Confrontés à une industrie largement consolidée et à des chaînes d’approvisionnement souvent basées ailleurs, nos décideurs politiques ont repris la réflexion bien entamée dans le milieu manufacturier alimentaire et l’idée d’un code de conduite a soudainement paru une solution juste et équitable, forte de l’expérience britannique. On comprend que le Québec a joué un rôle prépondérant dans cette initiative visant à soutenir ses nombreux petits producteurs et manufacturiers locaux.

Aujourd’hui, dans sa mouture la plus achevée, le code semble avoir les défauts de ses qualités. D’abord, il tire profit des expériences d’autres pays comme l’Angleterre et l’Australie. Il ratisse large en évoquant sa fondation sur des principes d’équité et de transparence, des négociations saines entre fournisseurs et détaillants et un soutien aux PME de l’industrie. Il reste cependant assez avare sur son application concrète et ses promoteurs peinent à identifier des avantages concrets pour le grand public. Dès lors, que peut-on bien espérer de ce code de conduite et de ses principes sous-jacents ?

Dans un premier temps, il s’agirait de remettre le consommateur au centre des préoccupations des fournisseurs et épiciers de l’industrie. Comment ? En approfondissant la connaissance de ses besoins, en lui offrant un assortiment optimal de produits, de formats, de saveurs, en ligne et en magasin, et lui permettant de faire un choix rapide, satisfaisant et éclairé dans chaque allée de l’épicerie. En testant des produits et agencements novateurs. En collaborant pour maximiser la quantité phénoménale de données existant sur les habitudes et préférences des consommateurs. On appelle ça la « gestion par catégorie ».

Celle-ci existe aujourd’hui, mais à temps partiel. C’est qu’on observe que beaucoup d’efforts sont plutôt déployés pour débattre de frais arbitraires, souvent imposés aux fournisseurs sans préavis ni entente préalable. Ces dépenses grandissantes laissent peu de marge de manœuvre aux fournisseurs, surtout les plus petits, pour investir dans de véritables promotions pour leur produit et dans la mise en marché au point de vente. Plutôt que cette lutte gagnant-perdant, l’industrie bénéficierait donc d’un redéploiement des efforts et des talents vers la gestion par catégorie.

C’est un des grands paris des penseurs du code. Car une négociation jetant les bases d’une planification conjointe approfondie entre fournisseurs et détaillants pour améliorer l’expérience des consommateurs est absolument souhaitable.

Ensuite, d’énormes pertes résultent de communications chancelantes à travers la chaîne d’approvisionnement quant aux prévisions de la demande, liées à une promotion imminente ou à une fluctuation de la distribution. Cette problématique conduit donc à des déséquilibres souvent évitables ; des pénuries de produits à certains endroits au gaspillage et au surplus de stocks ailleurs. Un partage d’information continu entre les intervenants de la chaîne d’approvisionnement diminuerait les coûts, économiques et environnementaux, en plus d’améliorer la disponibilité continue et suffisante des produits.

Cependant, plusieurs choses ne changeront pas avec ce code : les détaillants continueront d’être à la fois le client et le concurrent du fournisseur de marque nationale. Les marques privées, très importantes en épicerie, continueront d’obliger les marques nationales à innover et à se différencier… ou à disparaître. Et c’est très bien ainsi. Aussi, l’industrie alimentaire continuera d’être un énorme défi pour nos PME qui ne pourront rivaliser avec les économies d’échelle des manufacturiers internationaux. Il est à souhaiter que les plus novateurs de nos petits producteurs locaux recevront un coup de pouce de nos institutions pour assurer leur envol et consolider notre production locale en biens essentiels. Plutôt que de fantasmer sur la venue d’un sauveur émergeant du lointain pour stimuler la concurrence entre détaillants, le gouvernement fédéral aurait tout intérêt à veiller à la bonne gestion du code de conduite et à laisser les provinces gérer le développement régional.

Finalement, il est impératif que le comité chargé de mettre en application le code reste formé d’experts des différents intervenants clés de l’industrie alimentaire. L’esprit du code devra primer sur les dialogues de sourds et jeux de mots qui mystifient le commun des mortels et masquent les enjeux réels. Un comité compétent devra être libre d’établir une gouvernance efficace et de formuler des recommandations éclairées pour soutenir la résolution des différends entre les intervenants de la chaîne d’approvisionnement.