Un mardi sur deux, des experts en ressources humaines répondent à vos questions. Cette semaine, les conseils d’Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal.

« Dans ses échanges, mon patron valorise la collaboration et je suis d’accord avec lui. Pourtant, plusieurs de mes collègues me trouvent naïf de penser que les autres sont prêts à collaborer. Ils pensent plutôt que dans chaque département, on sert d’abord ses propres intérêts. Cette attitude ne me semble pas saine pour le bon fonctionnement de l’organisation. Qu’en pensez-vous ? » — Claude

Claude soulève une situation préoccupante qui nuit sûrement au succès des organisations. C’est ce qu’il convient d’appeler « l’effet silo ». C’est un problème répandu dans nombre d’organisations, même dans celles ayant une mission humanitaire. Fonctionner en silo, c’est fonctionner de façon cloisonnée, indépendamment des autres. Chaque division, unité d’affaires ou site est alors préoccupé par son propre succès. Pire, les unités peuvent entrer en compétition entre elles pour l’attention de la direction ou l’accès aux ressources.

En fait, l’organisation en silo fonctionne selon une logique verticale, du haut vers le bas, jugeant que le succès de l’organisation tient à l’efficacité de chaque silo, oubliant l’importance de l’horizontal, entre les silos. Évidemment, cela nuit terriblement à l’efficacité des organisations et à leur capacité d’innover, d’apprendre et de trouver des solutions aux enjeux et aux défis complexes auxquels elles font face.

La préoccupation de Claude est pertinente. Avant de chercher à combattre l’effet silo, il est utile de comprendre les raisons qui expliquent sa présence.

La compétition est un comportement socialement valorisé

Au cours des 15 dernières années, j’ai demandé à plusieurs centaines de personnes si elles jugeaient que les gens étaient « programmés » pour la compétition ou la collaboration. La réponse très largement majoritaire va dans le sens de la compétition. Que l’on pense simplement à ce qui est valorisé dans le parcours scolaire ou dans la progression de carrière.

J’aime beaucoup la citation de Joycelyn Elders, ancienne ministre de la Santé sous le président Bill Clinton : « La collaboration est un acte non naturel entre adultes non consentants ». Qu’on aime cela ou pas, notre comportement par défaut est très souvent à caractère compétitif – se faire valoir, se dépasser, optimiser ses gains.

Il faut reconnaître toutefois que ce sont les moments difficiles qui génèrent la plus grande collaboration. C’est alors que la solidarité s’impose. Mais est-ce durable ? Qu’est-il resté des élans de solidarité démontrés lors de la COVID-19, une crise majeure qui aurait pu provoquer des changements de comportements durables en faveur de la collaboration ?

La présence de barrières à la collaboration

Nous connaissons cinq types de barrières à la collaboration. Trois sont liées à l’incapacité de collaborer – je ne peux pas collaborer. Elles sont dues à l’absence d’un réseau adéquat, à un besoin de lâcher prise par manque de réciprocité dans l’échange ou à un contexte toxique. Mais les deux suivantes sont plus dommageables, car de nature motivationnelle – je ne veux pas collaborer. On cherche alors à se protéger ou à protéger son territoire. C’est ce que Claude observe chez ses collègues.

La protection de soi se construit naturellement autour de l’idée que, de toute façon, on n’est pas toujours en mesure de collaborer avec les autres. Cela se justifie par un sentiment de surcharge en lien avec la réalisation de ses propres objectifs. En plus, on croit aussi qu’aider les autres ne sera probablement pas reconnu à sa juste valeur.

Les comportements territoriaux sont basés sur la croyance que l’on n’a pas besoin des autres. On est ainsi fermé à l’idée de collaborer, sauf pour combler notre besoin d’affiliation à l’intérieur de notre unité. On développe naturellement une identité forte en lien avec ce qui nous distingue des autres et avec la légitimité de la mission propre à notre unité. Aussi, en bon gardien, on protège son territoire. Bien sûr, cela rend les unités plus cohésives à l’interne, mais en même temps plus étanches face aux autres.

La recherche d’une certaine émulation

Dans leurs discours et leurs attentes, les dirigeants font la promotion de la collaboration. Mais, en même temps, ils entretiennent un esprit de compétition, notamment dans leurs comportements au sein de l’équipe de direction ou dans les mécanismes d’émulation qu’ils valorisent entre les unités. Pensons aux programmes cherchant à décentraliser les objectifs de performance, d’abord à l’échelle de chaque unité, puis dans la fixation d’objectifs individuels, et enfin par les systèmes de rémunération au mérite. Il s’agit là de pratiques fort légitimes, mais qui mettent la table à des comportements de compétition susceptibles de mener à une mentalité de chacun pour soi.

Bâtir des ponts

Plusieurs évoquent l’urgence de « briser les silos », ce qui n’a généralement pas de sens, car les silos existent pour de bonnes raisons. Chaque unité a sa raison d’être, son expertise et ses objectifs propres. Ce qui apparaît plus porteur, c’est de « bâtir des ponts entre les silos », de miser sur la confiance mutuelle, l’entraide, le partage d’expériences et d’expertises et le partenariat entre unités.

Pour cela, on peut travailler sur plusieurs fronts – notamment sur une culture organisationnelle qui valorise la collaboration et certainement sur un leadership à tous les niveaux qui donne l’exemple, qui s’oppose ouvertement aux comportements territoriaux, qui met de l’avant des arguments forts pour justifier et valoriser la collaboration entre les silos, qui assure la présence d’objectifs communs et des pratiques de reconnaissance qui rendent les personnes et les équipes plus solidaires.