Le Québec a-t-il l’occasion de sauver la planète en facilitant la production d’électricité par le secteur privé, ou se lance-t-il au contraire dans un développement industriel effréné dont les bénéfices environnementaux sont incertains ?

Le projet de loi qui doit moderniser le marché de l’électricité québécois se fait attendre, mais la question fait déjà l’objet d’intenses débats, comme celui organisé mercredi par l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Des critères flous

Même si le Québec a nationalisé l’électricité en 1944, la production privée d’électricité n’a pas disparu, a rappelé Christophe Krolik, professeur de droit à l’Université Laval. Des entreprises privées comme Rio Tinto et Résolu exploitent des centrales hydroélectriques pour leurs propres besoins, et plusieurs autres, comme Innergex et Boralex, exploitent des parcs éoliens dont la production est vendue à Hydro-Québec. « Notre système est déjà prêt à recevoir de la production privée », a-t-il dit, mais il doit être adapté au contexte nouveau de rareté de l’énergie. Qui pourra en produire et qui ne pourra pas ? Les critères d’attribution des ressources sont « très flous », a-t-il souligné.

Aujourd’hui, 17 % de l’électricité consommée au Québec est produite par le secteur privé.

Expliquer la transition

La sécurité énergétique est une responsabilité de l’État, est venue dire Josée Provençal, chercheuse au Collège militaire royal de Saint-Jean. Le privé comme le public peuvent assurer cette sécurité énergétique, avec des avantages et des inconvénients dans les deux cas. Dans un système privé, la flexibilité et l’innovation sont plus fréquentes et l’économie a tendance à avoir priorité sur les besoins des citoyens, a-t-elle résumé. Dans ce débat, ce que pense la population est important. « C’est une variable essentielle et inconnue », a-t-elle dit. Le niveau de littératie énergétique est généralement peu élevé dans la population et les attentes en matière de transition énergétique doivent être précisées, selon elle. « La transition énergétique, ce n’est pas faire comme d’habitude, mais tout électrique. On ne peut pas tapisser le territoire d’éoliennes, par exemple. »

Inefficace et inéquitable

Les positions du professeur Pierre-Olivier Pineau sont déjà connues. Il croit qu’il faut plus de production privée d’électricité au Québec, parce que les besoins sont grands et qu’il n’y a plus de grands projets hydroélectriques à développer. Il estime que l’ouverture du marché québécois au secteur privé pour les entreprises qui veulent produire de l’électricité est une façon de leur faire payer l’énergie au coût d’aujourd’hui (le coût marginal) plutôt qu’au coût moyen très bas d’Hydro-Québec. Il souligne aussi que le coût relativement bas de l’électricité mène à des inefficacités économiques (on gaspille l’énergie), mais aussi à des inégalités sociales. « Les ménages qui gagnent 100 000 $ et plus paient le même tarif que ceux qui gagnent 40 000 $ et moins et consomment deux fois plus », a-t-il dit.

Une « balloune »

L’écart entre les tarifs basés sur le coût moyen de production (estimé à 3 cents le kilowattheure) et le coût de la future production (estimé à 11 cents le kilowattheure) est un piège dont il sera difficile de sortir, estime Jean-Thomas Bernard, professeur à l’Université d’Ottawa. « La majorité des consommateurs, qui sont aussi des électeurs, veulent des tarifs le plus bas possible et les entreprises, qui voudraient payer un peu plus, ne peuvent pas le faire » actuellement, a-t-il résumé.

Pierre Cossette, un consultant en énergie qui travaille depuis 30 ans avec les Autochtones et qui est favorable à la production privée, a relativisé le problème énergétique du Québec. « Il ne faut pas se faire d’illusions, il n’y en aura pas beaucoup, de production privée », a-t-il prédit. Les 30 000 mégawatts de projets en attente sur le bureau du ministre, il n’y croit pas beaucoup. « À 11 cents le kilowattheure, la balloune va se dégonfler assez vite. »

Il faut un plan

La production d’électricité au privé, qu’on soit pour ou contre, pose la question de l’appropriation du territoire, ont relevé d’autres participants au débat. Est-ce que les entreprises vont mettre la main sur les meilleurs sites énergétiques ? demande Pierre-Guy Sylvestre, économiste du Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente 16 000 employés d’Hydro-Québec. Pour Éric Pineault, professeur au département de sociologie de l’UQAM, l’ouverture au secteur privé, sans être une privatisation d’Hydro-Québec, est certainement une dénationalisation qui donne la priorité à la demande industrielle plutôt qu’à l’intérêt collectif.

La transition énergétique qui motive le gouvernement et force Hydro-Québec à doubler sa production n’a été ni définie ni planifiée, ont déploré la plupart des participants au débat. Des décisions importantes sont prises en faisant une large place à l’arbitraire. « On est rendu avec un ministre qui décide de tout », constate Pierre-Olivier Pineau.

Pour le consultant en énergie Jean-François Blain, « sans feuille de route, c’est un fiasco qu’on est en train de mettre en place ».