Une kyrielle de redevances élevées, un vaste territoire à desservir et une demande saisonnière chez les voyageurs : la récente débâcle de Lynx Air illustre à quel point le marché canadien est sans pitié pour les transporteurs à très bas prix – les ultra low-cost carriers. Les ingrédients sont réunis pour faire la vie dure à ce modèle d’affaires, qui connaît du succès ailleurs dans le monde.

Depuis la mort soudaine de Lynx Air, le 25 février dernier, moins de deux ans après son vol inaugural, il ne reste qu’un acteur canadien dans ce créneau : Flair Airlines. Le nom de Lynx, qui offrait des vols depuis les aéroports Montréal-Trudeau et Jean-Lesage (Québec) dans la province, s’ajoute à la liste des transporteurs à bas prix qui se sont écrasés au Canada. On recense près de 10 échecs depuis le début des années 2000.

« Cela illustre à quel point cette industrie est difficile », affirme le président et chef de la direction de Flair, Stephen Jones, en entrevue avec La Presse.

PHOTO FLAIR AIRLINES, FOURNIE PAR LA PRESSE CANADIENNE

Les avions de Flair Airlines, dont le lancement remonte à 2017, volent toujours malgré les enjeux financiers.

Les avions de la compagnie d’Edmonton, dont le lancement remonte à 2017, volent toujours malgré les enjeux financiers. Flair est endettée. De plus, elle doit 67 millions en impôts impayés à l’Agence du revenu du Canada, qui avait réussi à obtenir une ordonnance de saisie et de ventes de ses biens. L’entreprise a été en mesure de s’entendre avec le fisc pour éviter le pire, pour l’instant.

Selon M. Jones, qui a travaillé pour des transporteurs comme Air New Zealand et Wizz Air (Hongrie) au cours de sa carrière, tous les frais (droits d’atterrissage et redevances générales) imposés au Canada donnent du fil à retordre aux transporteurs, particulièrement ceux à bas prix.

On parle de 60 à 70 $ par passager dans les principaux aéroports canadiens. Si vous êtes un transporteur traditionnel qui vend ses billets 800 $, une redevance de 60 $ par passager fait bien moins mal par rapport à une compagnie qui offre des tarifs de 150 $, comme nous. Ces redevances sont très problématiques. Elles ne vont que dans une seule direction, et c’est en augmentant.

Stephen Jones, président et chef de la direction de Flair

Cette situation est attribuable aux moyens des aéroports pour se financer. Au Canada, ils sont des organismes sans but lucratif qui doivent payer un bail au gouvernement fédéral. Ils reçoivent beaucoup moins de financement gouvernemental comparativement à ce que l’on voit aux États-Unis, notamment. Pour se financer, ils imposent donc des frais aux compagnies aériennes et d’autres – frais d’améliorations aéroportuaires – qui se reflètent sur le prix du billet.

Mike Arnot, un consultant dans l’industrie aérienne, est sur la même longueur d’onde que le président de Flair.

« Les aéroports ne peuvent se financer que par leurs propres moyens et doivent le faire par l’entremise des redevances, souligne-t-il. La conséquence, c’est que ces frais sont élevés. Il est difficile pour [les Flair et Lynx] de fonctionner au Canada car ces redevances grèvent les tarifs qu’ils peuvent offrir aux voyageurs. »

Par exemple, en 2022, les « activités aéronautiques », des droits d’atterrissage et redevances générales, ainsi que les frais d’améliorations aéroportuaires ont représenté environ 70 % des revenus totaux (652 millions) d’Aéroports de Montréal (ADM), gestionnaire et exploitant des aéroports de Montréal-Trudeau et de Mirabel. À elles seules, les redevances imposées uniquement aux compagnies aériennes comptent pour 37 % des recettes totales d’ADM, en hausse de trois points de pourcentage par rapport à 2021.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Les redevances imposées aux compagnies aériennes représentaient 37 % des recettes totales d’Aéroports de Montréal en 2022, ce qui donne du fil à retordre aux transporteurs, particulièrement ceux à bas prix.

« C’est une différence majeure avec les États-Unis et bien des pays d’Europe, affirme l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek. Nous avons décidé d’opter pour un modèle utilisateur-payeur. La question qu’il faut se poser, c’est si nous voulons que ce soit l’ensemble des contribuables qui financent une partie des aéroports ou seulement les usagers. »

Plusieurs ingrédients

D’autres éléments entrent aussi en ligne de compte. Le modèle d’affaires des transporteurs comme Flair repose sur l’utilisation d’aéroports secondaires, où les frais sont moins élevés. Il est difficile de déployer cette stratégie dans toutes les provinces au Canada. Au Québec, on ne retrouve pas encore ce type d’infrastructure, même si l’Aéroport métropolitain de Montréal (Saint-Hubert) souhaite devenir une option de rechange pour Montréal-Trudeau.

Expert en transport ainsi que professeur en gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, Jacques Roy voit aussi la distance entre de grands centres urbains canadiens comme un obstacle pour les compagnies à bas coût.

« Offrir des vols d’une heure dans un avion où l’on n’offre pas de repas et d’autres services, ça peut fonctionner, mais faire la même chose pour des liaisons comme Montréal-Vancouver, c’est moins facile. Au Canada, il y a combien de villes où l’on peut continuellement remplir des avions de 180 sièges ? Au bout de 10 paires de villes, on a atteint la limite. C’est une contrainte. »

Il est donc difficile, dit M. Roy, de copier le modèle de Southwest et JetBlue, deux spécialistes américains du transport à bas prix, qui offrent des liaisons entre des marchés populeux et géographiquement rapprochés, ce qui réduit entre autres les coûts de carburant. Cette stratégie leur permet aussi d’effectuer quotidiennement plusieurs vols avec un même avion.

Ici l’été, ailleurs l’hiver

Un autre élément complique aussi la tâche aux compagnies aériennes. Il s’agit du caractère saisonnier du marché canadien. Les voyageurs aiment voyager au pays pendant la saison estivale, mais dès que l’automne pointe le bout du nez, ils tournent le dos au marché intérieur au profit des destinations soleil, notamment.

La demande au Canada est suffisante pour que le modèle fonctionne ici, mais pas toute l’année. C’est là le principal problème.

Mike Arnot, consultant dans l’industrie aérienne

Difficile, donc, pour des transporteurs comme Flair de compter sur des liaisons qui peuvent jouer le rôle de vaches à lait toute l’année.

« Je crois que c’est une chose que nous n’avons pas correctement assimilée à nos débuts, dit M. Jones. En 2022, peut-être 35 % de notre trafic hivernal s’effectuait vers le Sud. Maintenant, c’est la majorité [pendant l’hiver], et le marché intérieur représente 75 % du trafic estival. On doit donc entrer et sortir de villes sur une base saisonnière. »

Les avis de MM. Jones, Gradek, Arnot et Roy sont unanimes : tant et aussi longtemps que les frais aéroportuaires seront aussi élevés au Canada, les transporteurs à bas prix auront de la difficulté à prendre de l’altitude. Un changement entraînerait cependant une modification au mode de financement des aéroports, un dossier qui ne semble pas sur le haut de la liste des priorités du gouvernement Trudeau.

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